Le théâtre au 19e Festival Fringe de Montréal : Joyeux chaos
Le 19e Festival Fringe de Montréal sonne le vrai début de l’été pour les assidus de théâtre. La loi et l’ordre prennent le bord et les scènes sont envahies de tout et n’importe quoi. Compte rendu non exhaustif de l’expérience 2009.
Sans doute faut-il être un peu zélé, ou particulièrement insatiable, pour avoir encore envie, après toute une saison de théâtre et un blitz final éreintant (je parle ici du Festival TransAmériques et du OFF.T.A.), d’errer de salle en salle pour se gaver de spectacles de la relève et de la marge. Il y a plus de 90 spectacles à voir. J’en ai attrapé une douzaine, et vous parle ici de ceux qui valent le détour.
Le conte urbain, forme intimiste, poétique et virulente, semble taillé sur mesure pour le Fringe. Sarah Berthiaume propose Villes mortes, trois contes mettant en scène trois personnages dans trois villes déchues, et autant de descentes aux enfers. Il y a là une vraie plume: l’auteure et comédienne a du souffle, un humour un brin cynique, l’art de créer des images fortes, le sens du suspense et la capacité d’alterner les registres. Chez Jean-Philippe Baril-Guérard, auteur et interprète de 4 contes crades, le conte est plus essoufflant. Empruntant les traits d’un coursier à vélo plutôt bavard, il nous transporte du sauvetage raté d’un ami suicidaire jusqu’à une bravade contre la Mort, en passant par les tribulations d’une putain russe à la beauté phénoménale et une histoire de bijoux de famille éparpillés. Le conteur maîtrise une oralité bien québécoise, qui emprunte un brin à la manière traditionnelle et beaucoup au slang urbain, dans laquelle les grivoiseries sont légion. En allant voir Under the Radar, solo de l’acteur Alan Shain (en anglais), plusieurs croyaient se dilater la rate, se fiant à la réputation d’humoriste de l’Ontarien atteint de paralysie cérébrale. Erreur. Si le ton emprunte d’abord au traditionnel stand-up comique et à ses sempiternelles blagues sur le couple, le monologue bascule rapidement vers la confession et nous confronte à la réalité de ce laissé-pour-compte qui a choisi de sortir de l’ombre en prenant la scène d’assaut. Humain.
Les fanas de théâtre musical peuvent se réjouir. Chantons à l’hospice, de la compagnie Les Jarrets Repentissants, est une fable beckettienne ponctuée de chansonnettes tantôt naïves et tantôt grivoises, dans laquelle trois petits vieux se "font chier à l’hospice" et attendent un train imaginaire. Un choeur de zombies à la mine patibulaire, un synthétiseur et une bonne dose d’ironie constituent la recette infaillible de cette comédie simplette, aux dialogues un peu bâclés mais dont le petit côté moqueur est irrésistible. Il ne faut pas non plus rater l’événement anglophone du Fringe, Teen Sleuth & the Freed Cyborg Choir. Étrange spectacle racontant la dépossession de soi sur un très joli fond musical. La chanteuse Ellen Smallwood évolue au milieu d’une forêt peuplée d’orignaux dansants et d’autres personnages fantomatiques en carton-pâte. Une expérience atypique, artisanale et un peu brouillonne, mais propice à l’émerveillement.
Dans Louis, 25 ans, captive troyenne, le Théâtre Point d’Orgue orchestre une trajectoire elliptique jusqu’à des vérités enfouies, dans laquelle un jeune homme revisite, comme dans un manège incontrôlable, ses anniversaires passés et ses obsessions récurrentes. Partitions corporelles rythmées et temporalité éclatée nous font vivre une expérience erratique de l’espace et du temps. Les Néos, eux, brouillent les cartes avec une pièce inspirée du jeu Clue, Dans le salon avec la clé anglaise. À travers une suite de portraits, la cruauté sous toutes ses formes est exposée à un public attentif, devenu enquêteur pour l’occasion. Un spectacle ludique et sans prétention où domine le plaisir de jouer.
Première surprise: Picasso a écrit en 1941 une pièce de théâtre intitulée Le Désir attrapé par la queue. Deuxième surprise: c’est d’une grande poésie, à grands coups de métaphores gastronomiques, de sensualité brûlante et d’envolées lyriques surréalistes (on est à l’âge d’or de l’écriture automatique, après tout). Et la troisième? Le Théâtre Pretium Doloris, la metteure en scène Véronick Raymond en tête, s’est approprié cette matière difficile avec panache, misant avant tout sur l’image et le corps, puis sur un jeu contrasté, où les sensations et le relief des mots priment l’émotion ou l’intellect. Certes, il y a encore du travail à faire, des resserrements ici et là, mais l’expérience est concluante. Pour plus de détails et d’autres critiques, consultez mon blogue, Parathéâtre, sur voir.ca. Et bonne fin de Fringe.