63e Festival d'Avignon – 1re semaine : Promesses tenues
Scène

63e Festival d’Avignon – 1re semaine : Promesses tenues

Le 63e Festival d’Avignon bat son plein depuis le 7 juillet. De Gitaï à Honoré, en passant par Régy et Mouawad – artiste associé de l’édition 2009 -, plusieurs grands moments se sont déjà produits. Retour sur une première semaine pour le moins enthousiasmante.

Le cinéaste israélien Amos Gitaï avait la lourde tâche d’ouvrir le bal. La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres est ce qu’on pourrait appeler une mise en lecture à grand déploiement. Au coeur de la Carrière de Boulbon, celle-là même où Peter Brook a créé son Mahabharata, Jeanne Moreau se borne à lire les pages d’un récit de guerre au demeurant fort bien écrit. Autour d’elle, quelques comédiens s’agitent. Heureusement, il y a la magie du lieu, celle des éclairages, des percussions et des chants yiddish. Dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, Wajdi Mouawad et ses comédiens ont offert Littoral, Incendies et Forêts, les trois premières parties d’un quatuor intitulé Le Sang des promesses. L’odyssée a débuté à 20 h pour se terminer autour de 7 h du matin.

AU BOUT DE LA NUIT

Cette nuit Mouawad aura été immense, comme la scène de la Cour d’Honneur. Elle a été blanche, mais aussi bariolée de rouge et de bleu, parcourue de câbles, silencieuse et bruyante, drôle et tragique. En somme, riche en émotions. Tout d’abord, il y a l’endroit. Impressionnant. Chargé. Monumental. Puis il y a ces apparitions percutantes, des apparitions qui vous font spontanément monter les larmes aux yeux: voir Annick Bergeron, Andrée Lachapelle et Marie-France Marcotte, des comédiennes exceptionnelles, voir leur talent se déployer sur une scène pareille, entendre leurs voix profondes résonner dans un espace aussi vaste, aussi mythique, c’est bouleversant, inoubliable. Tout comme l’aplomb d’Emmanuel Schwartz, son souffle et sa justesse, dans tous les rôles qu’il a endossés. Ce qui frappe aussi, c’est la cohérence de ce cycle que Mouawad a appelé Le Sang des promesses. On en avait déjà pris conscience, mais assister aux trois pièces, l’une derrière l’autre, permet de goûter à toutes les obsessions du créateur, à ses révoltes, à ses angoisses, à ses espoirs, en somme à sa foi. Il y a les motifs récurrents, les destins qui se répondent, parfois même des répliques qui réapparaissent. Dans les trois pièces, des individus qui sont à un carrefour, au coeur d’une crise identitaire fondamentale. Au bout de la nuit, l’adhésion du public à cet univers tragique, épique, plus grand que nature, poignant, semble totale. Les applaudissements sont longs et nourris.

Bien entendu, l’aventure comportait quelques ralentissements. Sur une traversée de 11 heures, la chose est compréhensible. Mais il y avait tellement plus d’émerveillements, de gorges nouées et de communions. On reprochera peut-être à Littoral sa débauche de peinture et quelques faiblesses dramaturgiques, mais on devra admettre qu’Incendies est une pièce dont la structure est quasi irréprochable. Certains trouveront que Forêts mise trop sur le pathos et que son intrigue est inutilement emberlificotée. Il faut dire que de ce côté-ci de l’océan, plusieurs critiques et un bon nombre de spectateurs se méfient du théâtre narratif, fondé sur le récit. J’ai même entendu des gens évoquer, à propos de Forêts, le cinéma plein de coïncidences tragiques de Claude Lelouch. Faut-il préciser qu’il ne s’agissait pas d’un compliment? En terminant, ajoutons qu’il se pourrait bien que la trilogie soit en 2010 de la programmation du Festival TransAmériques et du Carrefour international de théâtre de Québec. Probablement au même menu que Ciels, la nouvelle création de Mouawad, dernier volet du quatuor, un spectacle sur lequel je vous livrerai bientôt mes impressions puisqu’il sera dévoilé à Avignon ce 18 juillet.

ROMAN PHOTO ET CINEMA

Avec Photo-romance, les Libanais Lina Saneh et Rabih Mroué parlent société et politique tout en interrogeant les codes du cinéma et de la représentation théâtrale. Dialogue entre une artiste et un censeur, le spectacle est savoureux, plein d’ironie, mais il devient vite redondant et didactique. L’auteur et metteur en scène français Hubert Colas a offert Le Livre d’or de Jan, un spectacle qui multiplie les tons, les registres et les médias pour exprimer le deuil, la perte, le vide laissé par la disparition d’un homme, d’un artiste. Durant deux heures, ceux qui l’ont aimé viennent témoigner en images, en mots, en musique, en actions. C’est un hommage à l’art, à son pouvoir salvateur, un hommage aussi à l’artiste hollandais Bas Jan Ader, perdu en mer en 1975. Un vrai beau moment de théâtre, drôle et grave. Le C.H.S. de Christian Lapointe, riche méditation sur la polysémie du feu, n’a pas laissé les spectateurs français indifférents. Plusieurs ont applaudi, mais quelques-uns ont hué. Pas de consensus. C’est peut-être aussi bien comme ça. Avec Une fête pour Boris, de Thomas Bernhard, Denis Marleau a séduit la majorité des critiques hexagonaux. Le travail de Christiane Pasquier, Sébastien Dodge et Guy Pion a été maintes fois salué.

Avec Ode maritime, un sublime poème de Fernando Pessoa, un hommage à la mer qui n’est rien d’autre que la formidable et courageuse introspection d’un homme, le metteur en scène français de 86 ans Claude Régy a fabriqué une merveille. Précision. Lenteur. Rigueur. Tout cela inspire de la fascination, du vertige. Enfin, le cinéaste Christophe Honoré a dévoilé sa relecture d’Angelo, tyran de Padoue, un drame romantique de Victor Hugo. Le spectacle, l’une des premières incursions théâtrales du réalisateur de Ma mère, Dans Paris et Les Chansons d’amour, est truffé de références au… cinéma! Emmanuelle Devos, Marcial di Fonzo Bo, Clotilde Hesme et Julien Honoré sont au coeur d’un captivant chassé-croisé amoureux.