63e festival d'Avignon: 3e et 4e semaines : Joli capharnaüm
Scène

63e festival d’Avignon: 3e et 4e semaines : Joli capharnaüm

Au moment où ces lignes sont publiées, le Festival d’Avignon achève sa 63e édition.

En cette année où le Québec est partout à l’honneur dans la petite ville provençale, le sprint final du Festival s’est ouvert sur l’énergie fracassante de Dave St-Pierre. Voir Un peu de tendresse bordel de merde à ciel ouvert sur la scène du Cloître des Célestins fut une expérience magique. Interprétées autour de somptueuses arches médiévales flanquées de superbes platanes, les chorégraphies débordent de romantisme. Le public français, qui connaît encore très peu St-Pierre, a vivement réagi, littéralement soufflé par l’énergie brute et la puissance dramatique de la performance, et se tapant vivement les cuisses devant l’impudeur clownesque des fausses blondes en costume d’Adam. À quelques nuances près, la presse française a aussi adoré le spectacle et apprécié la justesse de ses changements de ton, soulignant au passage, sans les condamner, ses parentés avec le langage chorégraphique de feu Pina Bausch. Dommage que St-Pierre, en convalescence à Montréal, n’ait pu savourer son triomphe sur place.

De Stefan Kaegi, créateur suisse installé à Berlin, les Montréalais et les Québécois se rappellent le délicieux Mnemopark, présenté au Festival Trans-Amériques et au Carrefour international de théâtre de Québec en 2007. Avec Radio Muezzin, fidèle à sa démarche de théâtre docu-fiction, il nous emmène au Caire, où il s’est intéressé au sort des muezzins (membres de la mosquée chargés de lancer l’appel à la prière) que le gouvernement veut remplacer par un appel centralisé pour diminuer la cacophonie. Sur scène, quatre vrais muezzins d’origines et de profils divers racontent leur vie et leur métier, s’accompagnant de photos de famille et d’images du Caire en mouvement. Kaegi traite le sujet avec finesse, sans jamais heurter les zones troubles de la religion musulmane ou porter d’étroits jugements. Il y manque toutefois un point de vue, un regard particulier, un relief. Dommage.

EN AVANT LA MUSIQUE

Puis, il y a eu le scandale. Casimir et Caroline, de Odon von Horvath, raconte une rupture amoureuse sur fond de fête foraine, alors que les classes sociales se rencontrent et que l’individu est confronté à son personnage social. Sur la scène de la Cour d’honneur du Palais des papes, la scénographie est écrasante et tapageuse avec ses néons et ses échafaudages inutiles. Tout du long, on a la triste impression d’assister à une lecture naïve de l’oeuvre, où tout a été pris au premier degré. Le metteur en scène Johan Simons et le compositeur Paul Koek, réputés pour leur utilisation de la musique live au théâtre, complètent le tout par un accompagnement synthé-pop dont la pertinence est incertaine. Il n’en fallait pas plus pour provoquer un grabuge typiquement avignonnais: le spectacle a dû être interrompu quelques minutes quand un spectateur furieux est sorti en huant et criant son dégoût.

Christoph Marthaler, metteur en scène allemand reconnu pour la précision et la musicalité de ses mises en scène (et qui sera, avec Olivier Cadiot, l’artiste associé d’Avignon l’an prochain), proposait Riesenbutzbach, sorte de variation en trois temps sur le thème de la crise économique. Dans un décor monumental où se mélangent des lieux intérieurs et extérieurs, publics et privés, les acteurs obéissent à une véritable partition corporelle et à l’appel du chant choral, interprétant de sublimes morceaux tout en douceur et en communion. Qu’ils soient aux prises avec l’incommunicabilité, l’obsession de la possession matérielle ou la tyrannie du banquier, les personnages de Marthaler se croisent sur un plateau envahi d’une multiplicité d’actions simultanées: une orgie pour l’oeil et le cerveau, plongés dans le jeu des associations. Un théâtre musical, imagé et décalé, dont l’esthétique bigarrée, l’humour lucide et la structure musicale sont d’une cohérence frappante.

L’édition 2009 se termine sur une note discrète avec deux productions de moindre dimension. Dans Mon képi blanc, Hubert Colas fait entendre la voix des légionnaires étrangers de l’armée française. Un acteur seul en scène, Manuel Wallade, souffle une parole musicale, saccadée, qui adopte le rythme droit et cadencé du pas militaire. Avec Loin…, le danseur et chorégraphe Rachid Ouramdane explore les traces laissées par la guerre du Viêtnam. Témoignages vidéo et séquences dansées transportent le spectateur dans un parcours mémoriel, à la recherche d’identité. Cette pièce sera présentée en mars au Centre national des Arts d’Ottawa. Pour en savoir plus, des critiques plus détaillées et d’autres échos du Festival sont à lire sur le blogue Parathéâtre sur voir.ca.

Notre journaliste Philippe Couture a été invité au Festival d’Avignon avec le soutien de l’Office franco-québécois pour la jeunesse.