Annie Darisse : Entre amies
La comédienne Annie Darisse nous parle de Ça se dit pas, une histoire de rupture amicale sur fond urbain, exploration tantôt sociologique, tantôt anecdotique, mais toujours sans prétention, des interactions urbaines contemporaines.
Grandes amies, Annie Darisse et Dominique Leclerc ont développé un vocabulaire commun. Quand elles décident spontanément d’écrire un texte de théâtre à quatre mains, elles disent qu’elles "jamment". Quand elles se lèvent du mauvais pied, sont irritables ou traversées d’énergies négatives, elles disent qu’elles ont un "aura brun". C’est ainsi que pendant un voyage en Argentine, frappées par le grouillement incessant de Buenos Aires, elles se sont mises à jammer l’histoire de Mikaelle, une jeune femme à l’aura brun qui décide une fois pour toutes de rompre avec sa vieille amie Josianne. Objectif colossal, qui sera retardé par une série de déviations cahoteuses et de rencontres impromptues sur une terrasse de bar et dans les rues de Montréal.
"On ne se le cache pas, affirme tout de go Darisse, notre texte est très anecdotique, c’est même un peu pouet-pouet! On voulait faire du théâtre d’été urbain, dehors sur la terrasse de la Cinémathèque, et je pense que c’est possible de faire de l’anecdotique extrêmement théâtral. Le fait de mettre le micro sur du small talk donne à cela de l’importance et nous permet d’y porter un autre regard, et pour moi, c’est d’une grande richesse. On va jouer ça un peu grotesque – la metteure en scène Catherine Dorion est issue du théâtre bouffon -, mais il ne faut pas oublier que tout ça est né d’un réel questionnement sur les interactions sociales."
En bonnes sociologues du dimanche, les deux inséparables ont effectivement tenté de voir comment les rencontres impromptues affectent la quête et l’état d’esprit de leur héroïne. Confrontée à une galerie de personnages urbains un peu clichés (l’artiste accomplie, la marginale punkette, la mendiante ou la militante engagée), Mikaelle ne se retrouve plus. Darisse en parle, bien sûr, avec son propre vocabulaire: certaines rencontres sont des "contre-tremplins", c’est-à-dire des rencontres dévalorisantes qui minent le moral, d’autres sont plutôt de "faux tremplins", donc de faux élans, faits d’une énergie artificielle et éphémère. Et ainsi de suite. "On peut commencer la journée en rose et la terminer en bourgogne fluo, explique-t-elle. On passe de l’autoconviction, quand on est seul chez soi avec ses certitudes, jusqu’à l’ébranlement, qui se produit dans la rue au contact de différentes personnes et événements."
Malgré tout, le centre de la pièce demeure la rupture amicale, une "problématique toute féminine", croit la coauteure, parce que "les gars ne s’infligent pas autant de blessures en amitié que les filles". Mais il est aussi question de cette tendance très québécoise d’être toujours trop gentil et de conserver des relations qui ne mènent à rien. "On a écrit ce texte-là avant l’avènement de Facebook, mais il parle exactement de ça: vouloir à tout prix un trop grand nombre d’amis et entretenir son image sociale jusqu’à l’excès." Tout ça, avec de larges pointes de cynisme et de petites doses de psycho-pop.