Louis Bélanger : Ceux que l’on porte
Le cinéaste Louis Bélanger se commet pour la première fois au théâtre en dirigeant Louis Champagne dans Mort de peine, la plus récente pièce d’Yvan Bienvenue.
Ces jours-ci, l’homme derrière Post-Mortem et Gaz Bar Blues est sur tous les fronts. Au moment même où The Timekeeper (L’Heure de vérité), son plus récent film, prend l’affiche (voir le texte de Manon Dumais dans la section Cinéma), Louis Bélanger se lance dans le tournage du prochain, Demande à ceux qui restent, un long-métrage coécrit avec nul autre qu’Alexis Martin. Nous avons rencontré Bélanger sur la charmante terrasse du nouveau Théâtre de Quat’Sous pour lui parler non pas de cinéma mais bien de théâtre, plus précisément de sa première expérience de mise en scène.
C’est Yvan Bienvenue, auteur dramatique et directeur artistique du Théâtre Urbi et Orbi, et Éric Jean, directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous, qui ont proposé au cinéaste d’endosser les fonctions de metteur en scène. "J’ai été très surpris, lance Bélanger. Mon premier réflexe, ça a été de dire non, ma cour est pleine. Puis je me suis rendu compte que je n’avais pas le droit de refuser. J’avais peur, mais j’avais aussi terriblement envie de le faire. À 44 ans, on m’offre de faire du théâtre. C’est une forme d’expression nouvelle pour moi, un art dont je ne connais pas la grammaire. Je ne pouvais pas passer à côté. C’était un rendez-vous que je ne pouvais pas rater. En plus, les dimensions du Quat’Sous, pour une première fois, je trouve ça parfait."
UNIVERS FAMILIER
Pour se lancer dans pareille aventure, Bélanger a fait appel à la scénographe Charlotte Rouleau, une amie d’enfance, au concepteur d’éclairages Claude Cournoyer, au compositeur Erik West Millette, au bluesman montréalais Michael Jerome Browne (présent sur scène) et au comédien Louis Champagne, que plusieurs ont découvert dans la télésérie Minuit, le soir. "Disons que je me suis entouré d’une gang à laquelle je n’avais pas peur d’annoncer mon ignorance. Mais j’ai rapidement réalisé que je n’avais pas de raison d’avoir honte. Diriger un comédien, c’est une chose que je sais faire! Au théâtre ou au cinéma, je ne vois pas la différence. Chaque fois, il s’agit de trouver le ton juste pour ce qu’on a à faire passer."
Mort de peine, c’est l’histoire d’un gars, Yan, qui bascule dans ses douloureux souvenirs après avoir recueilli sur le bord de la route la dépouille d’un chien frappé par un chauffard. La confession est âpre et poétique, elle est un cri de révolte et un élan de réconciliation avec la violence de l’existence, son injustice fondamentale. À vrai dire, le solo de Bienvenue, le personnage de Yan, la langue qu’il parle, le blues qui berce ses mots, tout cela n’est pas très éloigné de l’univers du cinéaste. "C’était une pièce pour moi, lance-t-il, catégorique. Bien que le contexte soit très dur, il y a de la tendresse et de la fragilité chez ce gars-là. C’est un écorché vif qui voudrait avoir le verbe pour bien dire les choses, nommer ce qu’il ressent. J’ai tout de suite senti que c’était un texte très personnel et très précieux pour Yvan. Il fallait que je rende justice à ça."
Comment est-ce qu’on fait pour continuer à vivre avec nos morts sur le dos, dans l’âme, en travers de la route? Voilà la vaste question abordée par la pièce de Bienvenue. "Le sujet n’est pas nouveau, avoue Bélanger. Ce qui est particulier ici, c’est qu’il est question de morts violentes, de ces disparitions qui te laissent un trou parce qu’elles sont incompréhensibles. Il ne reste que le désir de se venger, mais surtout l’incapacité de le faire parce que ça ne solutionnerait rien, parce que ce serait s’abaisser au même niveau que les meurtriers. Il faut donc trouver d’autres solutions, d’autres façons de s’en sortir."
Ce n’est ni plus ni moins qu’un processus de deuil que le personnage de Yan traverse sous nos yeux. La pièce met en relief ce malaise immense qui entoure la mort, tabou suprême de nos sociétés capitalistes. "On ne nous donne pas plus de trois jours pour filer croche, explique Bélanger, alors que parfois ça prend bien plus de temps. Je pense à Dédé, qui était un de mes chums; j’ai traîné ce deuil pendant très longtemps. Je ne suis toujours pas allé voir le film. Je pense que je ne serai jamais capable de le voir. Le "moton" me pogne quand je pense à ça. Ce n’était pas dans l’ordre des choses qu’il parte de même. C’est exactement de ça dont il est question dans la pièce, d’une mise en échec par la vie. Pour moi, Yan est un survivant. Cette fois-là, il décide de ne pas fuir, de vider son sac et de tout expliquer, d’enterrer tous ses morts."