Sainte Carmen de la Main : Chant de révolte
Scène

Sainte Carmen de la Main : Chant de révolte

Sainte Carmen de la Main, la pièce de Michel Tremblay, est mise en scène avec plus ou moins de bonheur par le jeune Simon Boulerice.

Créée en 1976, à la veille du référendum, Sainte Carmen de la Main est une pièce éminemment politique. D’un bout à l’autre, il y est question de révolte, de soulèvement et de remise en cause de l’ordre établi. En guise de microcosme, Michel Tremblay a choisi un bar, un endroit plutôt glauque autour duquel s’agite une faune pas banale: artistes plus ou moins ratés, prostituées hautes en couleur et criminels de bas étage. La plupart d’entre eux aspirent à une vie meilleure. Mais, ici comme ailleurs, certaines personnes ont tout avantage à ce que la masse demeure dans son marasme. La source d’inspiration de ces opprimés, leur soleil, leur idole, c’est Carmen, une chanteuse qui ose rompre avec la langue anglaise et les clichés du western pour chanter, dans sa langue, sa réalité et celle des siens. Une audace qu’elle va payer… de sa vie.

Comme le disait Frédéric Dubois dans l’entrevue qu’il m’accordait la semaine dernière, nous sommes, qu’on le veuille ou non, les enfants de deux référendums qui ont échoué, de deux projets de société avortés. "C’est ben beau d’aider le monde à se réveiller, lance Maurice à Carmen, mais un coup qu’y sont réveillés, que c’est que tu fais avec!" Entre les murs de ce bar, comme dans le monde dans lequel nous vivons, c’est le régime de la peur qui opère, celui de l’intimidation.

Si la pièce trouve aisément sa pertinence ici et maintenant, il faut admettre que le spectacle du Théâtre Autrement Dit ne sert généralement pas l’oeuvre. La mise en scène de Simon Boulerice est truffée de maladresses, notamment en ce qui concerne l’utilisation de l’espace et l’intégration du choeur. Les comédiens surgissent des quatre coins de la salle, empruntent les mezzanines et les ponts d’éclairage; mais tout cela distrait, manque d’impact ou alors semble carrément superflu. Quant au choeur, il est vaguement débarqué d’une soirée karaoké, espère en vain que le public prononcera les phrases qui apparaissent sur quelques écrans de télévision. Parfois, le procédé est si inefficace que cela en est gênant.

Outre Elizabeth Anne, qui incarne une Carmen sans profondeur et dotée d’une voix étrangement éteinte, les interprètes s’en sortent assez bien. Deux d’entre eux font mieux encore: Sylvie De Morais-Nogueira, très juste dans la peau de la fragile Bec-de-lièvre, l’habilleuse de Carmen, et Sophie Vajda, qu’on ne voit décidément pas assez souvent au théâtre, extraordinaire dans le rôle de Gloria, la rivale vieillissante de l’héroïne. En somme, la production ne passera pas à l’histoire, mais voir les deux comédiennes à l’oeuvre et renouer avec le texte-miroir de Tremblay vaut tout de même un détour par le Monument-National ces jours-ci. e