Jean-François Guilbault et Émilie Lévesque : Envers et contre tous
Scène

Jean-François Guilbault et Émilie Lévesque : Envers et contre tous

Sous la direction de Luce Pelletier, Jean-François Guilbault et Émilie Lévesque jouent, avec leurs collègues du Cégep de Saint-Hyacinthe, Le Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht.

"Brecht est dépassé", chuchotent quelques vieux routiers du théâtre, convaincus que les pièces du célèbre auteur allemand ne sont devenues qu’objets de mémoire et que son discours politique marxisant fait aujourd’hui figure d’ovni. On ne le monte presque plus, et encore moins au Québec qu’en Europe, mais les jeunes acteurs de la compagnie Sortie 123, invités par Luce Pelletier, y ont plongé corps et âme.

Le Cercle de craie caucasien, qu’ils ont d’abord joué au Cégep de Saint-Hyacinthe, leur a donné tellement de satisfaction qu’ils ont décidé que c’était la meilleure pièce à présenter aux Montréalais pour "sortir de l’ombre" après l’école de théâtre. D’autant que, comme l’explique Jean-François Guilbault, "plusieurs des acteurs de la compagnie sont des gens engagés, toujours prêts à défendre la veuve et l’orphelin, il était donc tout naturel de jouer une pièce politique".

Précisons toutefois que cette pièce, avec ses thématiques universelles de bonté et d’engagement, est peut-être l’une des moins politiques que Brecht ait donnée. L’adaptation de Pelletier se concentre d’ailleurs sur l’essentiel et escamote certains passages à teneur plus communiste du texte original, notamment le prologue et l’épilogue, où deux kolkhozes se disputent la gestion d’une même terre. Pas de fioritures, donc, pour raconter sans détour les histoires de Groucha et Azdak.

La première est une brave servante qui, après un attentat révolutionnaire et la fuite de l’épouse du défunt gouverneur, prend en charge le fils de celle-ci, héritier du trône, encore bébé au moment où elle le recueille. Envers et contre tous, elle le trimballe dans un long périple; elle y sera pourchassée et méprisée sans répit. Le deuxième est un juge extravagant (interprété par Guilbault) à qui l’on demandera de décider, au terme de la révolution, si l’enfant doit revenir à sa mère naturelle ou à celle qui l’a élevé au péril de sa vie. Il y arrivera par une méthode peu orthodoxe: l’épreuve du cercle de craie.

Cette histoire-là, inspirée d’une légende chinoise et du jugement de Salomon, évoque pour la comédienne Émilie Lévesque (interprète de Groucha) le thème de la responsabilité individuelle. "Ça me parle beaucoup! Brecht oppose la responsabilité de Groucha à la fuite de la mère naturelle. J’ai l’impression que ce thème résonne très fort aujourd’hui, dans un monde où l’on ne s’acharne pas trop devant les obstacles et où l’on abandonne facilement la partie."

Qui dit Brecht dit aussi chansons. Elles seront ici traitées dans la plus pure tradition brechtienne de distanciation, "comme des temps d’arrêt pour réfléchir à l’émotion vécue par le personnage et la manière dont elle influe sur sa prise de décision", explique Guilbault. Mais le vrai plaisir, dans tout ça, c’est la multitude de personnages. "Une véritable leçon d’humilité, raconte Lévesque. Ce sont des personnages-fonctions, jamais trop approfondis, qui ont demandé aux acteurs d’accepter le statut d’acteur-instrument, se mettant au service de l’oeuvre et de la vision d’ensemble. Une expérience concluante."