Maurice Bénichou : États de choc
Scène

Maurice Bénichou : États de choc

Le comédien français Maurice Bénichou est sur le point de fouler une scène québécoise pour la première fois, celle du TNM, grâce à Blackbird, une pièce de l’Écossais David Harrower mise en scène par Claudia Stavisky.

C’est l’un des plus grands comédiens de théâtre en France. Si plusieurs l’ont vu jouer dans Caché de Michael Haneke, Paris de Cédric Klapisch ou encore Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, pour les amateurs de théâtre, le nom de Maurice Bénichou est indissociable de celui de Peter Brook. Comédien fétiche du grand metteur en scène, il a pris part à une douzaine de créations dont La Conférence des oiseaux, La Cerisaie, La Tempête et le mythique Mahâbhârata. L’homme sera bientôt chez nous pour défendre, avec Léa Drucker, Blackbird, une pièce de l’Écossais David Harrower mise en scène par Claudia Stavisky, un spectacle créé en mai 2008 à Lyon, au Théâtre des Célestins.

La pièce est un terrible face-à-face entre Una et Ray. Elle a la vingtaine. Il a la soixantaine. Quand elle avait 12 ans, lui, un ami de son père, fut condamné à trois ans de prison pour relation illicite avec mineure. Quinze ans plus tard, l’un et l’autre tentent, complètement bouleversés, sur leurs gardes, de comprendre, de mettre des mots sur une expérience particulièrement traumatisante.

"Il y a plusieurs raisons qui m’ont fait accepter ce rôle, lance le comédien au bout du fil. Essentiellement, je trouvais que le sujet était brûlant et traité de manière pas du tout manichéenne. À vrai dire, cette complexité m’a énormément excité. Elle est présente dans le thème aussi bien que dans le style de la pièce, tout à fait moderne et très étonnant. On est à la fois dans une fiction poétique et dans un documentaire d’une très grande violence. Ce sont tous ces éléments qui m’ont attiré. En plus, Ray est un très beau personnage! Dans le théâtre contemporain, les personnages de cette complexité sont plutôt rares."

Depuis sa création en 2005 au Festival d’Édimbourg dans une mise en scène de Peter Stein, Blackbird a été montée en Angleterre, en Allemagne, en Autriche, en Suède, en Norvège, en Finlande, aux États-Unis et en Australie. Au Québec, Téo Spychalski, du Groupe de la Veillée, en a fait avec Catherine-Anne Toupin et Gabriel Arcand un spectacle bouleversant.

"La pédophilie est un sujet dur, concède Bénichou. Bien entendu, on doit tout faire pour que ce genre de chose n’arrive jamais, ou en tout cas le moins possible, mais il faut en même temps comprendre que chacun doit maîtriser des pulsions très violentes à l’intérieur de lui-même. La pièce est crue et rude, tout cela est raconté dans des termes qui ne sont pas du tout romantiques, on est dans une réalité absolue."

DE VIVES REACTIONS

Selon le comédien, les réactions à cette pièce coup-de-poing sont des plus diverses. "Beaucoup de gens m’ont dit que la pièce était insupportable et d’autres, que c’était une merveilleuse histoire d’amour, absolument déchirante. En fait, les deux sont là! Je dirais que c’est une histoire très triste, mais pas sordide. On a sous les yeux deux êtres qui sont quasiment détruits par ce qu’ils ont vécu. La vie a tout emporté! Si ça avait été accepté par la société, si on se disait que la sexualité en Occident peut commencer à partir de la puberté, ça aurait pu être une très belle histoire d’amour."

C’est précisément la force de la pièce que de nous trimballer ainsi d’un camp à un autre, d’une incertitude à une autre, en somme, d’exposer toutes ces nuances de gris qui intéressent assez peu la plupart des médias. "C’est pour cette raison que j’ai accepté le rôle, précise le comédien. Si l’homme avait été un violeur, j’aurais refusé. C’est une chose qui me déplaît profondément, même d’en parler. Ce qui s’est passé entre Una et Ray est infiniment plus compliqué que ça, plus touffu, plus secret."

Ainsi, aucun jugement n’est porté. Ni de la part de l’auteur ni de la part de l’acteur. "Je n’ai pas à juger mon personnage, estime Bénichou. C’est aux gens qui voient le spectacle de prendre position. En fait, la pièce nous tire sans arrêt d’un côté et de l’autre sans que la question ne soit jamais fermée. Je pense que c’est à chacun de comprendre, avec sa sensibilité propre. L’important était que le sujet soit traité et qu’il le soit de cette manière nuancée, afin de faire voir que l’être humain est d’une très grande complexité."

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DES IMAGES ET DES MOTS

De passage chez nous, Maurice Bénichou ne se contentera pas de jouer au théâtre. Tant qu’à avoir traversé l’océan, il va également assister à la projection de l’un de ses films et dévoiler sa passion pour les mots de Nancy Huston. À la Cinémathèque québécoise, le vendredi 11 septembre à 16 h, il y aura présentation du désopilant Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, un film de Jean-Jacques Zilbermann paru en 1993. Bénichou y partage l’affiche avec Josiane Balasko. "C’est un beau souvenir. Je me souviens d’avoir été très touché qu’on me propose ce rôle. À cause du sujet. Ça parle des Français du temps du général de Gaulle, de la guerre d’Algérie… C’est une période que j’ai très bien connue. J’étais un jeune homme, mais je m’en souviens parfaitement."

À l’occasion du Festival international de la littérature, Bénichou lira un collage de textes de Nancy Huston, cette si talentueuse écrivaine canadienne vivant à Paris. "Un jour, elle m’a appelé pour me proposer de jouer une pièce qu’elle venait d’écrire. Et j’ai accepté. Ça se fera l’année prochaine, au Théâtre Marigny, dans une mise en scène de Simon Abkarian. Le titre est Klatch avant le ciel. C’est l’histoire d’un vieil acteur qui, à la fin de sa vie, à l’hôpital, revoit sa jeunesse, ses amours et ses ratages. C’est magnifique. Je suis enchanté. Je vois Nancy très souvent maintenant. On est devenu très amis. J’apprécie beaucoup la délicatesse de son écriture, sa façon de rentrer à l’intérieur des personnages. C’est plein de style, d’humanité, c’est moqueur et tragique en même temps. C’est comme si elle voyait le monde avec un microscope qui change de lentille tout le temps." À cette oeuvre "extrêmement riche, dense et en même temps populaire", le comédien va rendre hommage le dimanche 20 septembre à 13 h au Studio-théâtre de la Place des Arts.