Pierre Rigal et Destination Danse : Pris au piège
Scène

Pierre Rigal et Destination Danse : Pris au piège

Pierre Rigal est l’un des quatre Français invités pour la nouvelle édition de la série Destination Danse. Il débarque avec Press, une "tragédie chorégraphique" qui a déjà reçu beaucoup d’éloges.

On l’a vu au dernier Festival Temps d’Images dans le solo Érection. Il dansait la difficulté de passer de l’horizontalité à la verticalité. Virtuose et énergique, sa gestuelle se jouait en interaction avec des images abstraites projetées sur le sol. Dans Press, Pierre Rigal est encore en solo et il a encore du mal à se tenir debout, pris dans un espace réduit qui rétrécit dangereusement et menace de le broyer. Allégorie d’espaces sociaux ou mentaux perturbés? La métaphore porte plusieurs lectures potentielles.

"Mon personnage est emprisonné, consciemment ou pas, peut-être même avec consentement, et il s’adapte aux nouvelles situations à mesure que son espace évolue", commente ce Toulousain de 35 ans arrivé tardivement à la danse après une brillante carrière d’athlète professionnel. "Il représente un homme occidental moderne face à un monde en sursis avec lequel il doit composer. Ça crée des situations parfois angoissantes, parfois un peu ubuesques et drôles… Comme dans la vie."

Dans cette oeuvre comme dans les trois autres au palmarès de Rigal, la dramaturgie est très précise et la narrativité si évidente qu’on peut avoir tendance à vouloir le classer dans le théâtre physique. Ne s’embarrassant d’aucune étiquette, il puise à tous les univers et disciplines qui servent son propos. Ainsi, sa signature déjà bien affirmée se caractérise aussi par des effets visuels très graphiques et un dialogue soutenu entre le corps et la lumière qui rendent ses créations semblables à des films d’art sortis de leur support cinématographique. "C’est vrai que j’ai réalisé des courts-métrages, des vidéoclips et des documentaires et que mes oeuvres chorégraphiques sont très proches de cette sensibilité par le scénario et le format de la scénographie", reconnaît l’artiste qui est aussi réalisateur professionnel, photographe et créateur de dispositifs vidéo pour une compagnie de théâtre.

Dans Press, le compositeur-interprète Nihil Bordures accompagne son étrange corps à corps avec la scénographie que le machiniste et éclairagiste Frédéric Stoll a mise au point pour l’englober et tenter de le phagocyter. "Le choix de la musique en direct a été imposé par le décor qui est vivant et qui agit sur le personnage par sa lumière mais aussi son environnement sonore, explique le chorégraphe. La gestuelle est celle d’une lutte entre l’organicité de l’humain et la robotisation de la machine, et le son est un élément important pour accentuer cet effet de système technologique: les murs émettent des sons quand je les touche, de même que les déplacements d’air quand je bouge."

L’idée de contrainte avec laquelle il faut négocier est aussi récurrente dans le travail de Rigal, tout comme la présence de figures stéréotypées. Dans cette oeuvre créée à Londres en 2008, il s’agit d’une sorte de mannequin aux gestes automatisés. "Je joue avec les stéréotypes pour les décaler, les détourner, en faire de la poésie ou les critiquer quand ils méritent de l’être et montrer la fascination que l’on a pour ces stéréotypes que l’on subit mais que l’on construit également", ajoute-t-il. Une oeuvre qui devrait trouver un écho en chacun de nous.

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DESTINATION FRANCE

L’Agora étale à nouveau sa série Destination Danse sur deux semaines avec des artistes représentatifs d’une région du monde ou d’une mouvance. Au programme de cette deuxième édition: quatre chorégraphes français dans la trentaine aux parcours singuliers. Au rez-de-chaussée, l’Atelier sera occupé successivement par Pierre Rigal et Nacera Belaza, qui a déjà troublé le public de Tangente avec une danse sobre et juste interprétée avec sa soeur Dalila Belaza. Elles reviennent en duo avec Le Cri, pièce sacrée Révélation chorégraphique de l’année 2008 par le Syndicat français de la critique. Elles y explorent l’inlassable et dynamique répétition d’un mouvement fondateur de l’écriture de Belaza, offrant une oeuvre extatique et, contre toute attente, étonnamment sensuelle.

Julie Nioche sera la première à investir la scène du Studio avec Matter, où elle danse en compagnie de trois chorégraphes-interprètes de sa génération aux origines culturelles diverses. Pendant deux ans, elle les a rencontrées dans leur milieu pour cerner comment leurs identités respectives s’étaient construites à travers le corps dansant. Quant à Fabrice Lambert, il présentera Abstraction et Gravité, deux solos extraits d’un Abécédaire où il interroge en 26 courtes formes le statut du chorégraphe et du spectateur en mêlant danse, arts plastiques et vidéo. L’installation et la chorégraphie pour un corps appuyé sur un plan d’eau de cinq mètres sur cinq éveillent plus particulièrement notre curiosité. Un beau voyage en perspective.