Vie et mort du roi boiteux : Grand et petit
Scène

Vie et mort du roi boiteux : Grand et petit

Frédéric Dubois et son Théâtre des Fonds de Tiroirs font honneur à Vie et mort du roi boiteux, l’ambitieuse saga de Ronfard.

Le metteur en scène Frédéric Dubois, à la barre du Théâtre des Fonds de Tiroirs depuis 1997, s’approprie Vie et mort du roi boiteux, le cycle de Jean-Pierre Ronfard, dans un esprit tout à fait comparable à celui qui régnait lors de sa création il y a plus de 25 ans. Avec les moyens du bord, quelques éléments de décor et des costumes qui pourraient très bien avoir été dénichés dans un grenier par des enfants particulièrement imaginatifs, 14 comédiens et deux musiciens démontrent toute la pertinence et l’originalité des aventures opposant les familles Roberge et Ragone.

Présenté en majeure partie en extérieur, c’est-à-dire dans la ruelle qui longe l’Espace Libre, le spectacle, créé à Québec en 2004, évoque ingénieusement les arts forains, les jeux d’enfants et le campement tzigane. À vrai dire, tout est bâtardise dans cette entreprise. Une impureté assumée, mieux encore, réclamée. C’est le cas des personnages, d’ici et d’ailleurs, grands et petits, de l’histoire, quotidienne et mythique, sérieuse et désopilante, de la langue, précieuse et roturière, mais aussi de la représentation qui, en plus de multiplier les registres, amalgame la fiction et la réalité. En effet, sous nos yeux, des gens entrent et sortent de chez eux, font une balade à vélo ou promènent leur chien. Qu’ils le veuillent ou non, ils font partie intégrante du spectacle.

Les six pièces du regretté Ronfard composent bel et bien ce qu’il est convenu d’appeler une saga. L’intrigue, qui se déploie sur plusieurs générations et sur plusieurs continents, doit à la Bible, à Sophocle, à Shakespeare et à Racine, mais aussi à Tremblay. Aux histoires de ruelles et de balcons, si petites et si grandes à la fois, spécifiques en même temps qu’universelles, Ronfard donne, un peu comme Réjean Ducharme, un caractère sacré. Nous ne le remercierons jamais assez d’avoir osé relier, sans l’ombre d’un préjugé, nos histoires à celles de l’humanité. Ou plutôt de nous avoir montré, de manière irréfutable, que nos récits valaient bien ceux du monde.

Bien que la troisième et la cinquième pièce fassent peu progresser l’action – difficile de dire s’il s’agit d’une question de texte ou de mise en scène -, à un spectateur de théâtre assidu, la production des Fonds de Tiroirs fait un bien fou. Avec tous les solos introspectifs qu’on nous sert ces dernières années, on pourrait presque oublier que l’essence du théâtre est de nous mettre en relation avec l’humanité. Ce spectacle, tout comme ceux de Mouawad et de Lepage, est là pour nous le rappeler.

Dans ces huit heures, on trouve à boire et à manger pour tout le monde. Au menu: amour, sexe, politique, folie et vengeance. Le ton est grotesque, clownesque, philosophique ou fantastique, souvent critique et toujours truculent. On rit, on s’étonne et il arrive même qu’on pleure. Tous les comédiens sont à leur place, mais il faut dire que Catherine Larochelle est une Judith Williams particulièrement émouvante.

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