Kathleen Fortin et Pierrette Robitaille : Forces de la nature
Scène

Kathleen Fortin et Pierrette Robitaille : Forces de la nature

Sous la houlette d’André Brassard, Kathleen Fortin et Pierrette Robitaille ont l’honneur, avec Violette Chauveau et Sharon Ibgui, de créer en français une pièce de l’auteur cri Tomson Highway, Une truite pour Ernestine Shuswap. Pour lancer les célébrations du 30e anniversaire de l’Espace Go, on pouvait difficilement imaginer plus beau quatuor de femmes.

"Quand Brassard me demande, je dis oui, lance d’emblée Kathleen Fortin. Peu importe le rôle. C’est inconditionnel. Il pourrait me faire faire une roche et je dirais oui." Ce n’est pas la première fois qu’une comédienne exprime ainsi son bonheur de travailler avec le grand André Brassard. Pour Fortin, comme pour Pierrette Robitaille, il s’agit d’une troisième collaboration avec le metteur en scène. "Brassard a eu beaucoup d’impact dans ma vie, explique Robitaille. Il m’a donné la permission d’être moi-même. Avec lui, j’ai compris que ça se pouvait que je fasse ce métier avec ce que je suis, en partant de moi, et non en cherchant continuellement à endosser d’autres images." Tout un cadeau.

LE TREMBLAY AUTOCHTONE

Né en 1951 dans une réserve située dans le nord-ouest du Manitoba, Tomson Highway est cri et ouvertement gai. Considéré comme l’un des plus grands écrivains autochtones de l’Amérique du Nord, l’homme donne depuis les années 80 dans le théâtre, la nouvelle, le roman, la poésie et la littérature jeunesse. Ses oeuvres sont jouées, traduites et étudiées dans de nombreux pays. En 2004, les Éditions Prise de parole ont publié Champion et Ooneemeetoo, traduction par Robert Dickson du roman Kiss of the Fur Queen. En 2006, Highway fut l’invité d’honneur du Festival Voix d’Amériques. Malgré cela, bien peu de gens au Québec ont la chance de connaître cet artiste inclassable. En programmant Une truite pour Ernestine Shuswap, Espace Go contribue à ce que cela change.

Ernestine Shuswap Gets Her Trout a été créée en 2004 par le Western Canada Theatre of Kamloops, en Colombie-Britannique. En lisant la pièce, on découvre une langue toute musicale et des personnages extraordinaires, des femmes aussi drôles que tragiques, chacune d’entre elles représentant tout un pan de sa communauté. Pas surprenant que Highway soit considéré par plusieurs comme le Tremblay autochtone. "C’est clair, dit Fortin. Ce sont quatre femmes qui ont le fardeau du monde sur leurs épaules. C’est probablement en partie à cause de cette ressemblance avec l’univers de Tremblay que Brassard s’est intéressé à la pièce. Je sais aussi que Highway est très flatté que ce soit Brassard qui signe la mise en scène et la traduction."

Profitons-en pour nommer les collaborateurs de Brassard: Frédéric Blanchette est adjoint à la mise en scène. Olivier Landreville est au décor, à ce qu’on dit impressionnant. Mérédith Caron est aux costumes. Claude Accolas est aux lumières. Catherine Gadouas est à la musique, à ce qu’on dit métissée et fondamentale. Normand Blais est aux accessoires. Et Jocelyne Montpetit est au mouvement.

DEPUIS LA NUIT DES TEMPS…

L’action se déroule le 25 août 1910. Quatre femmes amérindiennes ont 24 heures pour préparer un banquet en l’honneur de Sir Wilfrid Laurier, Grand Kahoona du Canada. Isabel Thompson (Violette Chauveau), 43 ans, prépare des tartes aux saskatoons. Annabelle Okanagan (Fortin), 32 ans, du castor farci. Ernestine Shuswap (Robitaille), 53 ans, une immense truite. Quant à Délila Rose Johnson (Sharon Ibgui), 21 ans et enceinte de trois mois, elle se charge de réaliser les nappes de mousseline blanche. La tâche est déjà colossale, mais elle devient presque impossible à réaliser quand les quatre femmes apprennent que de nouvelles barrières se sont élevées sur le territoire, qu’il est désormais impossible de cueillir les baies, de chasser dans les bois et de pêcher dans le fleuve. Ce sont les inexplicables décisions de l’homme blanc.

"Même si l’action se passe en 1910, l’écriture est très moderne, explique Fortin. Le propos demeure complètement actuel. C’est d’autant plus troublant que tout cela pourrait très bien se passer aujourd’hui." "En plus, on s’adresse directement au public, ajoute Robitaille, on défonce complètement le quatrième mur." "Et c’est important qu’on le fasse, reprend Fortin. Il y a quelque chose qui est de l’ordre de la dénonciation. On vit à côté de cette réalité, de ces gens, et on oublie leur drame, ou alors on a plein de préjugés envers eux, mais il reste que ce peuple traîne de grandes souffrances depuis 150 ans." "Cette pièce nous fait rencontrer du vrai monde", lance Robitaille.

THEATRE POLITIQUE

Sans donner dans le prêchi-prêcha ou le folklore, sans être sentencieux ou culpabilisant, le texte de Highway est éminemment politique. Il s’agit d’une époustouflante synthèse de la réalité des autochtones. Les enjeux sociaux y sont transcendés par l’art, brillamment exprimés. Le parcours de ces quatre femmes fondamentalement bonnes, si bien qu’elles ne voient pas le mal chez l’autre, leur expérience de la dépossession, tout cela est troublant. La plupart des génocides commencent de la même manière… En ce sens, il y a dans la pièce, entre les lignes, un appel citoyen, un appel au soulèvement qui pourrait bien en inspirer plus d’un.

Dans notre belle société de consommation et de divertissement, ce n’est pas tous les jours que le théâtre se fait aussi politique. Consciente qu’elle nage dans des eaux qu’elle a peu fréquentées, Pierrette Robitaille savoure chaque moment. "C’est vraiment extraordinaire pour moi de faire ce spectacle. Ça sort complètement de ce que je fais normalement. Je suis très contente. Ces femmes ont une force vive. Elles sont solidaires. Elles forment une vraie communauté. À mon avis, tout cela donne beaucoup d’espoir."

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C’EST A 30 ANS…

Pour la 30e saison du Théâtre Espace Go, Ginette Noiseux a rassemblé des créateurs de haut calibre. Sur papier, la saison est plus que prometteuse. Les trois textes choisis par la directrice artistique sont aussi pertinents que percutants. Signés par un Cri du Manitoba, un Français du nord de l’Hexagone et un tandem de Québécoises allumées, ils font entendre des paroles de femmes qui pourraient bien tout balayer sur leur passage. Un menu subversif, juste comme on les aime.

Nous ne reviendrons pas sur le premier spectacle de la saison, Une truite pour Ernestine Shuswap. En principe, le texte auquel cet encadré est joint devrait vous avoir convaincus de la pertinence des aventures pas banales d’Ernestine, Isabel, Annabelle et Délila Rose. En janvier, après avoir été créée en Bretagne, plus précisément au CDDB – Théâtre de Lorient, Centre Dramatique National, et être passée par le Théâtre du Rond-Point, à Paris, Sextett, la "comédie érotique à contenu explicite" de Rémi De Vos, s’installe chez nous. Coproduit par quatre institutions, dont Go, le spectacle mis en scène par le Français Éric Vigner, qui nous a déjà offert deux exceptionnelles expéditions en territoire durassien, La Bête dans la jungle et Savannah Bay, devrait réchauffer notre hiver.

Le personnage principal, Simon, est un agent publicitaire dont la mère vient de mourir. Alors que les cendres de celle qui lui a donné la vie sont encore chaudes, le jeune homme va devoir faire face à un déferlement de pulsions. Une galerie de femmes délirantes va, pour notre plus grand bonheur, prendre le héros pour cible: sa collègue Claire, les voisines Jane et Blanche, excentriques et lesbiennes, leur chienne parlante, Walkyrie, et Sarah, celle avec qui Simon a vécu sa première expérience sexuelle. Dans cette fable onirique, les notions de désir, de fantasme, de sexe, de mort et de féminité sont solidement remises en question. Tout cela est particulièrement troublant, mais aussi réjouissant, tonifiant. La distribution, qui comprend notamment Anne-Marie Cadieux, Marie-France Lambert et Maria de Medeiros, suscite elle aussi l’enthousiasme. Vivement l’hiver!

En mars, Martine Beaulne va créer Les Saisons, deuxième texte des comédiennes Sylvie Drapeau et Isabelle Vincent. Rappelons qu’Avaler la mer et les poissons, créé en 2005 et présenté 130 fois à travers le Québec, avait obtenu beaucoup de succès. Coproduite par Go et le Théâtre de la Manufacture, la nouvelle pièce du tandem brosse le portrait de quatre femmes, quatre soeurs. Il est question de "la tendresse, l’humour et l’importance des liens que nous entretenons avec les nôtres, avec la terre qui nous a vus naître, la maison où l’on a grandi et le pays qui nous habite". Incarnées par Annick Bergeron, Micheline Bernard, Sophie Cadieux et Isabelle Vincent, Alizé, Margo, Blanche et Avril ont rendez-vous dans la maison de leur enfance pour célébrer le 80e anniversaire de leur père (Pierre Collin). À leur arrivée, elles constatent que leur mère est partie sans donner d’explication. Surgissent alors "les secrets et les confidences, les jalousies et les partages de toute une vie".