Stéphane Crête : Faire son numéro
Scène

Stéphane Crête : Faire son numéro

En ouverture de saison à La Chapelle, Stéphane Crête ramène Esteban, performeur à l’identité multiple, aux perruques broussailleuses et aux costumes surannés. Entrevue.

Quand Esteban est né, au OFF.T.A. en 2008, on se disait bien que ce premier spectacle solo théâtro-musical de Stéphane Crête n’allait pas en rester là. Le revoici donc en grande pompe, libre et fier, prêt à vous éblouir de tous ses feux. "C’est vrai que je veux qu’Esteban perdure, dit Crête, je l’ai toujours vu comme un travail en constante progression. Mais ce qu’il me permet surtout, c’est de créer dans la plus grande liberté. Je me suis dit qu’au lieu de chialer contre les structures de production écrasantes du théâtre institutionnel, j’allais essayer de passer à travers toutes les étapes de production sans autre intermédiaire que moi-même, sans que rien ni personne ne m’impose une façon de travailler."

Esteban, c’est donc un solo à l’image de la personnalité et des obsessions de Crête: éclaté, délirant, mais concocté avec grand sérieux. Sur scène, il n’y a que lui, ses costumes, ses perruques, ses accessoires, son précieux tourne-disque et son clavier. Une succession de numéros où l’on découvre les différentes facettes d’Esteban et ses nombreux talents, de la chanson au mime en passant par le lipsynch. Une personnalité multiple qui se déploie dans le bruit et la fureur. "C’est comme le sous-sol de mon inconscient, précise Crête, avec tout ce que ça a de fantasque, déglingué, kitsch ou perverti. Esteban me permet d’expérimenter plusieurs facettes de moi-même, ou disons plusieurs visions fantasmées de moi-même. Je suis très sensible à la fragilité mentale, à ces gens chez qui les frontières entre la raison et la folie sont très minces; c’est à la fois fascinant et effrayant. Mais je ne suis pas moi-même fou, même si parfois j’ai l’impression de devoir l’expliquer aux médias."

Pas fou, mais assez maniaque de la scène pour s’imposer une expérience de création sans oeil extérieur. Devant sa caméra, il a passé des heures à improviser des numéros et essayer des costumes, pour ensuite s’écouter et s’analyser sans jamais demander d’aide. "C’est vraiment un spectacle qui a émergé par lui-même, explique-t-il, à mesure que je rassemblais des costumes, des perruques et de la musique que j’avais chez nous, des vieilles affaires que je trouvais drôles, des formes bâtardes, comme je les appelle. Je m’intéresse au côté désuet de la performance de cabaret."

Et bien sûr, le résultat est hilarant. Même si Crête parle de son spectacle avec grand sérieux, qu’il le considère un peu comme un dévoilement de lui-même et une manière de faire exploser son image sociale, il n’y arriverait jamais sans ironie. "Je crois beaucoup au rire guérisseur, celui qui nous montre avec sérieux que la vie n’est pas aussi sérieuse qu’on le pense. Je pense que dans Esteban, l’accumulation d’absurdités fait qu’à un moment donné le cerveau craque, on quitte notre logique habituelle, une brèche s’ouvre et ça déclenche un rire libérateur." Du moins, il voudrait que l’invitation à la liberté qu’il s’est faite à lui-même avec ce spectacle soit tendue au spectateur, qu’il ait envie, lui aussi, de "casser les structures et le mur des convenances". Invitation lancée.