Blackbird : Au pied du mur
Scène

Blackbird : Au pied du mur

Sensible et implosif, le Blackbird du Théâtre des Célestins, en visite ces jours-ci au TNM, vaut assurément le détour.

Puisque la comparaison avec la production de La Veillée est inévitable, ne jouons pas à l’autruche et commençons par s’y adonner franchement. Le spectacle de Claudia Stavisky ne fait pas oublier celui de Téo Spychalski, et l’interprétation de Maurice Bénichou et Léa Drucker n’occulte en rien celle de Gabriel Arcand et Catherine-Anne Toupin. Loin de là! Pour mettre en scène Blackbird, cette troublante joute verbale de l’Écossais David Harrower, la directrice du Théâtre des Célestins (Lyon) a opté pour un jeu bien plus sobre. Certains diront moins incarné. Disons seulement qu’il y a là tout ce qu’il faut pour rouvrir l’éternel débat entre deux écoles, la française et l’américaine.

Rappelons les faits. Une femme dans la trentaine et un homme dans la soixantaine débarquent dans la cafétéria d’une usine. Au fil de leurs échanges, hachurés, difficultueux, on comprend qu’ils ne se sont pas vus depuis 15 ans, depuis cette époque à la fois idyllique et douloureuse où l’adulte et l’enfant entretenaient une "relation illicite". Après avoir purgé une peine de prison, Ray a refait sa vie. Quant à Una, elle a tenté de survivre, toujours avec le sentiment d’avoir été cruellement abandonnée par cet abuseur qu’elle aimait tant. Vous aurez compris que le drame psychologique de Harrower nous entraîne dans une zone grise, un espace où nos réflexes de bien-pensants sont continuellement invalidés. Pédophilie ou amour impossible? Il y a entre les deux tout un spectre de possibilités que le spectacle creuse avec audace.

Si le jeu de Bénichou et Drucker est souvent réduit au minimum, les gestes et les déplacements de leur huis clos captivent. Le moindre rapprochement, la moindre répulsion, et cette manière de prendre appui sur les murs, de s’asseoir et de se lever en échos, tout cela est remarquablement étudié. Pourtant, sur cet immense plateau, la fêlure, chez l’un comme chez l’autre, tarde à apparaître. Il faut attendre la fin, lorsque le couple se retrouve seul dans l’usine, pour que le face à face se teinte franchement d’urgence. On goûte alors, peut-être un peu tard, à un poignant amalgame de désir et de rage. Puis, en quittant la salle, on réalise qu’on a encore moins de certitudes qu’en y entrant. Ce qui, vous l’aurez compris, est rien de moins qu’une bénédiction.