Coma Unplugged : Cabaret de la dernière chance
Scène

Coma Unplugged : Cabaret de la dernière chance

Dans Coma Unplugged, succès de La Licorne qui sillonne le Québec cette année, le comédien Steve Laplante surfe entre la franche comédie, les enjeux sociétaux et le drame existentialiste. Mordant.

Il fait bon parler avec Steve Laplante en amont de la tournée de Coma Unplugged, après deux séries de représentations montréalaises. Moment parfait pour discourir en toute légitimité du rapport privilégié avec le public que lui offre ce spectacle mis en scène par Denis Bernard, sur un texte de Pierre-Michel Tremblay. Car il y a là une rare communication entre la scène et la salle. "C’est une comédie, mais aussi un spectacle dans lequel je m’adresse directement au public et lui parle au micro. Ça réagit énormément, et on a absolument besoin de cette réponse-là pour que ça marche. Il y a des bouts où on dirait qu’on est dans un show d’humour au St-Denis! Et je ne déteste pas ça du tout." Pourtant, Laplante craignait un peu que la magie se perde en quittant le petit plateau de La Licorne. Il n’en est rien. "Peut-être parce que les personnages sont quand même un peu grossiers et caricaturaux, explique-t-il. Il y a des numbers qui prennent vraiment de l’ampleur dans la pièce, et une grande salle permet d’explorer ce côté-là de la performance."

DU STAND UP AU CABARET

Si l’analogie avec le stand up comique s’applique à certaines répliques très punchées, héritage de toutes ces années où l’auteur a signé des textes pour des humoristes de renom, il ne s’agit pas de la meilleure manière de décrire ce spectacle, très éclaté dans sa forme, et très dense en contenu. Petite mise en contexte: Daniel Martin est un chroniqueur cynique, blasé, et surtout, en pleine crise. On le découvre sur son lit d’hôpital, dans un coma qui prend soudainement forme sous nos yeux et devient cabaret, avec musicien en direct (Ludovic Bonnier), maître de cérémonie (Félix Beaulieu-Duchesneau) et spectaculaires visites des personnages sortis de sa vie comme de son imaginaire. La caricature prend alors le dessus, comme si le cerveau du comateux tordait et grossissait la réalité pour mieux avaler la pilule. Se succèdent au micro son ex-femme (Marie-Hélène Thibault), son vieil ami Bertrand (Benoît Gouin), sa mère (Louise Laparé) et même son guerrier intérieur (Philippe Racine). Une occasion pour Daniel de jeter un regard sur son existence et de faire le point, avec en tête la fatidique question: partir ou rester?

Le cabaret est l’idée de Denis Bernard. Le texte de départ montrait plutôt le personnage dans son appartement, confronté à ses démons sans autre appui que son environnement désolant. "Pierre-Michel a une parole très franche, très directe. Il y a dans le texte des passages très éditoriaux, notamment sur la société individualiste occidentale. Ça peut être un danger, il ne faut pas tomber dans le mélo ou le moralisateur. La proposition de Denis nous permet de prendre cette parole-là pour la donner directement au public, sans filtre, très franchement, et avec une petite distance humoristique et décalée qui fait que ça passe mieux."

CONSTAT SOCIAL

Vrai qu’il y a beaucoup à attraper au vol. Des difficultés de la garde partagée jusqu’au sentiment d’avoir raté sa vie professionnelle, en passant par d’autres déroutes amoureuses et dérives personnelles. Le tableau est complet. Sortant du lot, le thème de la condition masculine intéresse particulièrement l’acteur principal. "C’est drôle, raconte Laplante, j’ai 37 ans, et personnellement, je n’ai jamais eu ce genre de questionnement. Les hommes de ma génération ont aussi des problèmes de masculinité, mais tel qu’exprimé dans la pièce, c’est plutôt associé aux hommes de plus de 50 ans, qui ont été aux prises avec le féminisme, ou obligés de se définir par rapport à ça. C’est fou de constater à quel point c’est présent dans la société québécoise, et la pièce présente ça de manière habile."

Un autre thème incontournable, échappant celui-là aux clivages générationnels: l’omniprésence d’un cynisme écrasant. "Je suis moi-même très cynique dans la vie, et c’est vrai que ça peut être dangereux. Cela dit, tout le plaisir de jouer ce personnage se trouve là. Parce que le cynisme, quand il est bien utilisé, permet d’aborder plein de sujets qu’on n’aborderait pas autrement. L’ennui, c’est que Daniel est prisonnier du sien, et pour moi, la pièce pose la question de la frontière entre le cynisme utile et le cynisme paralysant." À méditer.