Emmanuel Schwartz : Écorché vif
Protégé de Wajdi Mouawad et fougueux danseur de Dave St-Pierre, Emmanuel Schwartz ne nous avait pas encore assez révélé ses talents d’écriture. Avec Chroniques, il y remédie.
Cet été, au Festival d’Avignon, sur la scène de la Cour d’Honneur du Palais des Papes, Emmanuel Schwartz triomphait dans le rôle de Wilfrid, personnage principal du Littoral de Wajdi Mouawad. Une expérience magique. Ces jours-ci, au Théâtre français du CNA, le jeune homme rejoue le premier volet de la tétralogie Le Sang des promesses. Lire à ce sujet l’entrevue qu’il a accordée à ma collègue Mélissa Proulx dans la section Gatineau/Ottawa de voir.ca. Mais c’est pour Chroniques, un projet personnel dans lequel il est plongé corps et âme et dont il accouchera sous peu entre les murs de La Chapelle, que nous l’avons rencontré.
On demande de plus en plus souvent au jeune acteur, qui a fondé avec Mouawad la compagnie Abé Carré Cé Carré, s’il ne craint pas d’être trop associé à son mentor, de pourrir dans l’ombre de son imposant collaborateur. Réponse catégorique: "Je suis plutôt fier d’être dans sa filiation. Il fait partie de moi, et tant mieux si on reconnaît du Wajdi dans mes textes." Là-dessus, aucun doute; on y trouve le même souffle, le même attachement à la narration, la même urgence. Il confesse même que dans l’un des trois textes qui composent Chroniques, il s’est permis de lui voler une réplique.
Les textes de Schwartz, touffus et par moments digressifs, n’ont pourtant pas grand-chose à voir avec la structure quasi mathématique des oeuvres mouawadiennes, ni avec ses personnages divisés entre les époques et les identités. Les siens sont nettement contemporains, et surtout très trash. Ce sont des toxicos ou des ados bagarreurs, des écorchés vifs qui parlent une langue brutale et se racontent à la manière coup-de-poing.
Pour expliquer d’ou ils viennent, Schwartz raconte encore des histoires, n’hésitant jamais à plonger dans son adolescence tumultueuse. Il fonctionne par récits, comme si la porte de son imaginaire était toujours ouverte. C’est parfois invraisemblable, et on espère qu’il ne ment pas trop, comme quand il raconte avoir fait semblant d’être héroïnomane à 14 ans et avoir consulté une intervenante en toxicomanie pendant des années en ne reniant jamais le personnage. Ou comme cette histoire d’une cousine morte d’une overdose à 19 ans, propulsant le jeune garçon qu’il était dans "une sorte de fantasme du trash, de celui qui avait accompli quelque chose, qui s’était détruit en accédant à des sentiments exaltants".
Ça a donné naissance au personnage de Noémie dans Maxquialesyeuxsortisducoeur, la dernière des trois pièces qu’on verra à La Chapelle, après Béréniceadeuxsoeursquines’aimentpas (une variation sur le thème des Trois Soeurs de Tchekhov) et JeneconnaispasClichy,maisjem’ensuisfaitbeaucoupdeclichés (où règne le fantôme de Bernard-Marie Koltès). Il a confié la mise en scène des deux premières à Alice Ronfard et Jérémie Niel (de la compagnie Pétrus), "pour voir trois satellites se rencontrer. Trois ballounes étranges qui auront été gonflées par l’hélium de metteurs en scène différents." Les comédiens qui sont de l’aventure: Marc Beaupré, Monia Chokri, Pascal Contamine, Émilie Gilbert, Francis La Haye, Ève Pressault et Mani Souleymanlou.
Il faut aussi l’écouter parler de l’incommunicabilité et de l’insuffisance du langage, deux concepts qui donnent certainement des clés de compréhension de ses textes. "Le fait qu’on ne puisse jamais exprimer ce qu’on pense très précisément me trouble profondément. Au quotidien, on est dans des torrents de choses qui nous bouleversent et après on n’arrive pas à en parler, parce qu’on doit toujours se censurer pour être simple et concret. Sinon, moi, en deux secondes, je suis couché à terre pis tu me comprends pus pantoute."