Fragments de mensonges inutiles : Point d’orgue
Avec Fragments de mensonges inutiles, Michel Tremblay et Serge Denoncourt donnent un superbe coup d’envoi à la saison québécoise de la Compagnie Jean Duceppe.
Au théâtre, depuis L’Impératif présent, en 2003, Michel Tremblay ne nous a rien donné de vraiment substantiel à nous mettre sous la dent. Cet automne, le vent tourne! Bien plus qu’une gentille pièce sur deux garçons découvrant leur homosexualité, Fragments de mensonges inutiles est une ode aux pulsions de la jeunesse, à la différence et à l’évolution des mentalités.
À la base de cette nouvelle pièce, on trouve un autre de ces fameux déclencheurs formels dont Tremblay a le secret. Un procédé spatiotemporel particulièrement ingénieux. Cette fois, les héros, deux garçons de 15 ans, appartiennent à deux époques différentes. Le premier, Jean-Marc (Olivier Morin), vit à la fin des années 50. Le second, Manu (Gabriel Lessard), appartient indéniablement à notre époque. Un demi-siècle les sépare, et pourtant ils se parlent, se touchent et s’aiment… comme si cela allait de soi. Enfin, façon de parler: entre deux jeunes hommes, en 1959 comme en 2009, le désir demeure éminemment subversif.
Avec Louise Campeau (décor) et Martin Labrecque (éclairages), Serge Denoncourt a imaginé un troublant huis clos. Dans l’aire de jeu, restreinte, on ne trouve que quelques chaises. Tout y est blanc ou noir. Même les costumes de François Barbeau. Comme dans une partie d’échecs, chaque déplacement est lourd de sens et de répercussions. Si bien qu’on pourrait croire que les personnages sont là pour comparaître. Il y a les deux pères (Normand D’Amour et Antoine Durand) et les deux mères (Maude Guérin et Linda Sorgini), on ne peut plus contrastés, et puisque les "…logues" ont remplacé les curés, on trouve aussi un aumônier (Roger La Rue) et un psychiatre (Gabriel Sabourin). L’effet miroir est saisissant. Les époques se chevauchent, se superposent, puis se confondent. Subtil et brillant.
Il faut dire que les échanges – des solos, duos et quatuors qui ne sont pas sans évoquer une autre pièce de Tremblay, Messe solennelle pour une pleine lune d’été – s’enchaînent dans une admirable musicalité. On le sait, quand vient l’heure d’entrelacer humour cinglant, colère, lyrisme et rage de vivre, Tremblay n’a pas son pareil. Cette fois, c’est d’une efficacité redoutable. Il faut dire que les comédiens sont là pour livrer la marchandise. Certains, comme Gabriel Lessard et Maude Guérin, atteignent des sommets. Et nous avec eux.
À voir si vous aimez /
Les Feluettes de Michel Marc Bouchard, Messe solennelle pour une pleine lune d’été de Michel Tremblay, Maurice de E.M. Forster