Manon Lussier : Perdre sa mère
Scène

Manon Lussier : Perdre sa mère

Apprivoiser la mort de sa mère et interroger son héritage, c’est le thème du premier solo autobiographique de Manon Lussier, Un suaire en saran wrap.

Comédienne et metteure en scène (elle a dirigé, entre autres, le Gala Novarinaire l’an dernier à la Salle Fred-Barry), Manon Lussier se lance pour la première fois dans la formule solo. Et elle n’y va pas de main morte, dévoilant sur scène un douloureux épisode de vie: la mort de sa mère il y a deux ans, après une infatigable lutte contre le cancer du sein. Dans une langue directe et sans pudeur, elle raconte et rejoue les aléas et les heurts de sa relation avec sa mère. "Comme beaucoup de monde, j’ai toujours conservé une distance par rapport à ma mère, je voulais mener ma vie autrement, montrer que je pouvais être plus grande qu’elle. Un comportement un peu adolescent, qui se poursuit bien souvent jusqu’à la cinquantaine. J’explore dans le spectacle cette rivalité souterraine, tout en évoquant aussi la beauté de ma relation avec ma mère et nos moments de complicité."

Ginette, c’est le nom de la défunte, sera bel et bien présente sur scène. En plus de l’urne contenant ses cendres, que Lussier a intégrée au spectacle, sa voix résonnera telle une trace vivante de son passage. C’est que la comédienne, par déformation professionnelle, a enregistré sa mère sur son lit de mort, et utilisé le document audio comme matériau de base pour la création. "Bien sûr, je ne pensais pas faire ce solo quand j’ai enregistré ma mère. Je suis fille unique, j’étais donc en charge des funérailles, et je suppose que mon réflexe d’artiste a été de préparer tout ça comme si je préparais un show. Je voulais que la voix de ma mère résonne pendant la cérémonie. Je l’ai fait parler de sa vie, j’ai tout enregistré. Mais je l’ai aussi fait pour moi, pour garder une trace."

Cette voix, captée à l’aube du trépas, rappelle bien sûr le processus d’apprivoisement de la mort et de la maladie qu’elles ont traversé ensemble. Lequel a mené l’actrice, inévitablement, à réfléchir à sa propre fin. "Quand ta mère meurt dans tes bras, ça te fait réévaluer certaines choses. Et comme sa mort a été précédée d’une longue période de maladie, ponctuée de visites à l’hôpital et de discussions sur les procédures et le rituel de la mort, j’ai eu amplement le temps d’y penser. Mais l’idée, avec ce spectacle, n’est pas de retrouver l’émotion intacte de ces moments-là. Je rejoue les événements, mais je les mets aussi en perspective, je les présente tels que je les vois aujourd’hui. Et j’insiste sur les absurdités qui ont jalonné ce processus-là. Ça me sidérait de voir que ma mère, sur le point de perdre la vie, me demandait des choses extrêmement banales, domestiques, quotidiennes. On voudrait toujours que dans ces moments-là, ce soit grand et beau, que le sacré soit à l’avant-plan, mais la réalité est tout autre."

Un suaire en saran wrap, ce serait aussi le récit d’une traversée de sentiments humains contradictoires, dit encore Lussier, "entre la force et la fragilité, et ça devrait faire écho au monde et aller plus loin, mon histoire personnelle".