Michel Nadeau/Steve Gagnon : Au nom du fils
Michel Nadeau et Steve Gagnon interprètent un père et son fils dans Reconnaissance, second volet d’un diptyque autour d’Hamlet. Entre être et ne pas être.
Le Théâtre Niveau Parking, qu’on connaît notamment pour Lentement la beauté et, plus récemment, Regards-9, nous revient avec Reconnaissance, une pièce faisant suite aux Mots fantômes présentés il y a deux ans. Après nous avoir offert cette adaptation d’Hamlet, où ils privilégiaient la perspective du fils, Michel Nadeau et son équipe nous proposent maintenant une création qui s’en inspire plus librement pour s’attarder au point de vue du père. Une production dont le directeur artistique de la compagnie signe le texte et la mise en scène, en plus d’y jouer, mais qui doit également beaucoup au travail d’improvisation des acteurs.
En plus de la relation père-fils, la pièce parle, à l’instar du classique de Shakespeare, de fantômes. "Les fantômes qu’on traîne derrière nous, les choses non dites, non réglées, qui influencent nos vies", spécifie Michel Nadeau, avant de poursuivre: "Il est aussi question de ce que ça fait autour quand un accident grave arrive, de la résonance que ça a. Reconnaissance met en scène trois couples, des gens qui s’aiment, qui essaient de vivre un rêve et dont l’existence se voit bouleversée par une tragédie. Qu’est-ce qui va arriver avec cet amour? Est-ce que ce rêve va survivre ou pas?"
Plus précisément, il s’agit de l’histoire de François (Steve Gagnon), un jeune metteur en scène rêvant de monter Hamlet, mais dont les projets se trouvent contrariés par un accident qui le plonge dans le coma. Dès lors, son père, manière de nouvel Orphée, est prêt à tenter l’impossible pour le ramener du côté des vivants. "Chez tout le monde, il y a une urgence de trouver: le père cherche son fils, le fils cherche le fantôme d’Hamlet, mais aussi son père", observe Steve Gagnon. "Les différents sens du mot reconnaissance ont servi dans l’écriture: je te reconnais pour ce que tu es, être reconnaissant de quelque chose, une reconnaissance de dette, on part en reconnaissance", illustre Michel Nadeau.
Cette idée d’exploration, surtout, semble caractériser l’ensemble, alors qu’inspiré entre autres des répliques "Le temps est sorti de ses gonds" et, bien sûr, "Être ou ne pas être?", le récit se développe de manière non linéaire, à travers différents espaces (les limbes, la réalité, le théâtre, le rêve, etc.). "Je trouve qu’il s’agit d’un état de la vie; on est toujours un peu en reconnaissance, on ne sait pas, on cherche les signes, soutient Michel Nadeau. Il est émouvant de voir ces personnages qui se débattent avec quelque chose contre quoi il n’y a rien à faire, mais qui continuent quand même."
DEDALES ET CONTRASTES
Outre de bien s’appliquer à une telle quête, l’image du labyrinthe peut également évoquer les circonvolutions du cerveau de ce jeune homme dans le coma, qu’ils ont d’ailleurs imaginé prisonnier de ces dédales. Plutôt que de choisir le bon tournant, il faut ici ouvrir la bonne porte, au gré d’une multitude d’essais et erreurs. "Aussi, les personnages sont devant un mur, devant une personne avec qui ils ne peuvent pas entrer en communication, mais ils se disent qu’il doit y avoir un trou quelque part, une fissure. Donc, la scénographie s’est organisée autour de ça; il s’agit d’un grand mur avec deux niveaux et des ouvertures."
Pourquoi deux niveaux? "Certaines personnes se rappellent de ce qu’elles ont vécu dans le coma et, souvent, elles disent qu’elles étaient en haut de la chambre et qu’elles voyaient les gens autour d’elles", explique-t-il. "On peut faire un parallèle avec le rapport entre le public et les comédiens, ajoute Steve Gagnon. Quand tu es dans la salle, ce que tu fais n’est pas pris en considération, tandis qu’à l’inverse, ce que les acteurs disent est entendu. En fait, c’est comme si mon personnage était un spectateur et que ce qui continue de se passer en bas avait une influence sur lui."
Enfin, la mise en scène joue beaucoup sur les contrastes, de manière à décliner le célèbre "Être ou ne pas être" sur plusieurs plans. "Théâtre/réalité, acteurs/spectateurs, personnages/comédiens, vie/mort, vie/coma, lumière/obscurité, choses projetées/choses vraies… énumère Michel Nadeau. L’idée du temps et des espaces qui se télescopent, qui s’entrechoquent crée une espèce de clash, mais qui se comprend très bien parce qu’on pense de cette façon. En fait, on cherche à faire surgir la poésie de tout ça." Ne reste qu’à leur souhaiter, au terme de ce périple passant par toutes les formes de reconnaissance, celle tant désirée du public.