Pol Pelletier : Tête première
Scène

Pol Pelletier : Tête première

L’eXcentris nous ramène la grande Pol Pelletier, absente de la scène québécoise depuis 2004. Intense et vibrante comme toujours, elle nous parle de son nouveau spectacle, Une contrée sauvage appelée Courage.

Elle a quitté le Québec en 2004 sans savoir qu’elle passerait autant de temps en France. La Bretagne l’a accueillie et elle s’y est sentie chez elle pour un long temps. Elle n’y était pourtant venue que quelques semaines pour présenter Nicole, c’est moi, son prétendu spectacle d’adieu, dans lequel elle retrouvait son nom de jeune fille et disait au revoir à Pol, ce nom d’emprunt qu’elle avait volé à son père et qui a marqué ensuite tant de spectateurs de théâtre.

Pol Pelletier, le phénomène, le monstre sacré, est bel et bien de retour. On ne sait plus comment qualifier son jeu et son incroyable présence. Dans le Dictionnaire des artistes du théâtre québécois, Lise Gagnon opte pour les mots "vibrante, extatique, effroyable, chamane et pythie", ajoutant qu’"on l’a comparée à Artaud tant son intensité la singularise". Ça résume assez bien.

Pol Pelletier a toujours accordé une grande attention aux lieux théâtraux. En Bretagne, elle a été servie. "Ces lieux-là m’ont atteint en plein coeur, dit-elle. Des salles de spectacle remplies de mystère, d’âme et de fantômes." La nouvelle salle Cassavetes de l’eXcentris n’entre sûrement pas dans la même catégorie, mais elle a tout de suite eu envie d’y jouer, "pour la nouveauté". "Je considère l’eXcentris comme une contrée sauvage à découvrir. Je m’y avance tête première. Et puis, transformer un cinéma en lieu de spectacle vivant, c’est une idée fort valable."

DE RETOUR D’EXIL

La "contrée sauvage", c’est aussi le Québec qu’elle chérit, et qui lui est apparu encore plus grand et beau pendant son exil temporaire. Et pourtant, lasse de devoir toujours se battre pour créer chez nous, elle éprouve encore une grande amertume. "En Bretagne, j’ai eu de l’aide sans même demander. Un jour, un politicien important est venu voir le spectacle. Il est venu me trouver et m’a dit que j’étais une très grande artiste et qu’il voulait m’aider. Jamais un truc pareil ne m’est arrivé au Québec, jamais même un politicien n’est venu me parler en trente ans de carrière."

C’est ainsi qu’est né Une contrée sauvage appelée Courage. Autour de l’actrice se forme un petit groupe de gens désireux de l’aider, puis, elle crée une nouvelle compagnie, l’École Sauvage. Elle s’invente un personnage qui parle et chante les opprimés, la RAMIE (Royale Artiste Mendiante Itinérante Extatique). "C’est cette artiste qui ne court plus après les subventions, car elle sait bien que c’est vain. Comme moi, à mon arrivée en Bretagne. Tout ce que je voulais, c’était m’asseoir sur les trottoirs pour raconter des histoires. La Mendiante, c’est une artiste qui veut se rapprocher de la liberté absolue et rejette tous les compromis qu’insidieusement le gouvernement lui impose."

Pas question de s’emmerder avec les stratégies de développement de public et autres inventions du Conseil des Arts quand on est un artiste véritable, semble dire Pelletier. "Pour moi, le théâtre, c’est sacré. Mais surtout l’art doit s’adresser à tout le monde et être profondément libérateur. J’ai écrit une trame, l’histoire d’une itinérante, qui porte en elle ce que j’appelle des rivières, des textes puissants qu’elle veut faire entendre. Au plan symbolique, l’eau, c’est l’inconscient, le féminin. L’eau s’infiltre partout, elle rafraîchit et purifie, elle est irrésistible. Les textes que j’ai choisis me font cet effet-là, ils comblent ma soif, me passent à travers le corps, me lavent et me guérissent. Ils me purgent, au sens cathartique du terme, comme dans une tragédie grecque."

PORTEUSE DE MEMOIRE

Avec ce spectacle, la brûlante comédienne devient aussi conteuse, ou plutôt, comme elle le dit si bien, "porteuse de mémoire". "Je veux mettre en lumière des textes québécois absolument géniaux, que plus personne ne connaît. Il y a d’abord Élégie au génocide des nasopodes, un poème symphonique de Michel Garneau. C’est l’histoire de la mort de la nature, et dans sa vision chaque élément de la nature est jumelé à un instrument de musique. Ce texte a été écrit pour être accompagné d’un orchestre, et moi, j’essaie de recréer cette ambiance symphonique avec mon seul corps et ma seule voix."

"Puis, je fais renaître un texte de Jovette Marchessault, Les Vaches de nuit. Je considère que ce texte-là est un grand classique de notre littérature, et pourtant, il n’est pas enseigné dans les écoles, il a été oublié de tous. Je l’ai joué dans les années 70 au TNM, et il est ensuite complètement disparu de la mémoire collective. Mais au Québec, ce n’est pas nouveau, on a un problème avec la mémoire. Il faut arrêter de tuer nos artistes en les oubliant si vite. Moi, j’ai envie de dire ces mots-là haut et fort."