Chantal Lamirande : Corps et graphies
Chantal Lamirande fait danser corps et lumières dans ProJet X, une oeuvre interdisciplinaire qui réunit sur scène quatre danseuses et deux musiciens du groupe Samarkande.
La danse n’est pas que mouvement. Elle est aussi un art visuel. Pour mettre en évidence cette réalité, Chantal Lamirande travaille depuis ses tout débuts la dimension graphique de ses oeuvres en développant une relation intime avec la lumière. Dans cette quatrième création, elle oublie les projections vidéo avec lesquelles elle dansait dans Vision pour se concentrer sur la collaboration avec l’éclairagiste Lee Anholt.
"Lee a une approche géométrique des éclairages, il compose des figures sur le sol qui peuvent faire penser à des tableaux de Mondrian et qui créent presque une scénographie, commente la chorégraphe. Nous travaillons aussi beaucoup avec la pénombre: la lumière suggère la danse sans nécessairement toute la montrer. Et puis, il y a dans ce spectacle quelque chose qu’on peut associer aux lumières crues d’Édouard Lock et à la façon dont il sort la danse du point de lumière qui devient alors presque autonome."
Les éclairages contribuent également à créer les effets de perspective chers à Lamirande et à faire apparaître ou disparaître les musiciens Sylvain Lamirande (un cousin) et Éric Fillion logés en fond de scène. Ce sont certaines de leurs compositions qui ont inspiré ProJet X. Celle qui ne créait qu’en silence a vu sa gestuelle influencée par l’univers du groupe Samarkande.
"Ils travaillent presque essentiellement avec des synthétiseurs et ils ont une approche électroacoustique qui donne une facture qui se rapproche parfois de celle de Diane Labrosse et qui peut être aussi beaucoup plus expérimentale, indique la chorégraphe. Il y a une part d’abstraction dans leurs créations, mais aussi une charge émotive très forte par moments, un côté sombre et lumineux en même temps."
La présence des musiciens sur scène fait écho à la recherche d’instantanéité au coeur du travail de Lamirande. Car la partition chorégraphique a beau être écrite de A à Z, elle doit rester mobile pour répondre à certaines impulsions données par la musique. C’est également la quête d’instantanéité qui a présidé à l’élaboration de la gestuelle.
"Pour plusieurs sections de la pièce, confie la créatrice, je me suis astreinte, avec les trois autres interprètes, à réapprendre des séquences de mes improvisations. Je me suis rendu compte que ça me donnait accès à un vocabulaire très instinctif qui n’émergeait pas nécessairement quand je créais consciemment. Il y a plus de nuances énergétiques et rythmiques. Au début, c’est presque frustrant pour l’interprète parce qu’on perd la spontanéité de l’impro, mais étonnamment, elle revient et c’est fascinant."
Pour cette création qui exige précision, finesse et endurance, Lamirande a sélectionné des danseuses avec une technique solide pour l’accompagner sur scène: Dominique Thomas, une jeune diplômée de LADMMI, Ami Shulman et Magali Stoll qui se sont toutes deux illustrées notamment dans des pièces de José Navas.
Et ce X, à quoi peut-il faire référence? À la génération à laquelle appartient Lamirande, à certains échos aux années 80 dans sa pièce, au chromosome des interprètes en scène, au pluriel qui fait cette création et à la part d’inconnu qu’elle porte et nous invite à pénétrer.