Chroniques : Frapper trois fois
Scène

Chroniques : Frapper trois fois

Avec Chroniques, Emmanuel Schwartz, Alice Ronfard et Jérémie Niel font souffler sur la scène théâtrale montréalaise un air particulièrement vivifiant.

Un auteur, trois pièces, trois metteurs en scène, sept comédiens, quatre concepteurs et deux compagnies, c’est ce qu’il a fallu rassembler pour donner naissance à Chroniques, l’une des créations les plus attendues de cet automne. Le triptyque, coproduit par Abé Carré Cé Carré et Pétrus, est particulièrement contrasté, souvent habité par une énergie adolescente, c’est-à-dire pleine de conviction et de débordements, mais aussi par une spectaculaire remise en question de l’ordre établi, une immense soif d’authenticité.

L’auteur à l’honneur, c’est Emmanuel Schwartz, plus souvent comédien et danseur, proche collaborateur de Wajdi Mouawad. La soirée, qui totalise près de quatre heures, s’ouvre avec Maxquialesyeuxsortisducoeur. Schwartz met lui-même en scène les aventures d’un jeune homme entraîné par sa soif d’émancipation et ses aspirations artistiques dans des aventures rocambolesques, pour ne pas dire épiques.

Dans le rôle, Marc Beaupré, au coeur d’un déferlement de papier, de peinture, de paillettes et de fils électriques, est particulièrement convaincant. L’esthétique de la représentation a quelque chose de Mouawad, mais ce n’est pas gênant. Surtout que les personnages de Schwartz ont leur propre langue, leur propre désespoir, leur manière flamboyante et bien à eux de traduire la violence et le chaos du monde, de le raconter.

La deuxième pièce s’intitule Béréniceadeuxsoeursquines’aimentpas. Mis en scène avec une admirable simplicité par Alice Ronfard, le quasi-solo est brillamment porté par Ève Pressault. Avec cette histoire de famille délicieusement schizophrénique, collage de lettres, de courriels, de coups de fil, de chansons et de réminiscences plus ou moins tragiques, la comédienne, dirigée avec précision, trouve enfin un rôle à sa hauteur. Sur le mur du fond, les projections en direct sont du plus bel effet.

La dernière pièce, et non la moindre, s’intitule JeneconnaispasClichy,maisjem’ensuisfaitbeaucoupdeclichés. En ce qui concerne l’écriture aussi bien que la mise en scène, signée Jérémie Niel, il s’agit de la plus maîtrisée des trois créations. Construite en miroir, la pièce juxtapose deux rencontres, deux troublants face à face. Sur la portion gauche du plateau, Mani Soleymanlou et Pascal Contamine incarnent un voyou et un policier, un bourreau et une victime.

Sur la portion droite, Marc Beaupré est un Québécois fraîchement débarqué à Paris. En pleine nuit, au coeur d’un cimetière et avec une verve peu commune, il s’adresse au fantôme d’un auteur dramatique qu’il vénère, Bernard-Marie Koltès (Francis La Haye). Quand les deux univers se touchent, le résultat est sidérant. La mise en scène de Niel, toute en délicatesse, alliage de réalisme et d’onirisme, vaut à elle seule le détour.

En somme, Schwartz peut être fier de ce qu’il a accompli ici. On ne saurait trop vous conseiller de l’avoir, comme nous, dans le collimateur.

À voir si vous aimez /
Seuls et Assoiffés de Wajdi Mouawad
Autour de ma pierre, il ne fera pas nuit de Fabrice Melquiot
Cendres de cailloux de Daniel Danis