Louis-Karl Tremblay : Lutter pour sa survie
Scène

Louis-Karl Tremblay : Lutter pour sa survie

Fasciné par Les Troyennes depuis plusieurs années, le jeune metteur en scène Louis-Karl Tremblay en présente l’adaptation de Jean-Paul Sartre au Bain Saint-Michel. Entrevue.

Il a ce petit air ténébreux et ce visage angélique, ce flegme qui ne laisse pas douter de son grand sérieux. Récemment diplômé de l’UQAM, Louis-Karl Tremblay est fier de s’attaquer aux Troyennes pour sa première mise en scène professionnelle. C’est une oeuvre qu’il ausculte et interroge sans cesse. D’abord présentée en production étudiante, il l’a retravaillée sous forme de happenings sporadiques. "L’idée de Point d’Orgue, notre compagnie, c’est d’explorer un texte et ses enjeux dans différentes petites productions avant d’en faire un spectacle final, d’en aborder plusieurs facettes, d’identifier différents thèmes, de prendre successivement les chemins de l’image, du corps, de la parole. Après ce processus, je sens bien que les actrices maîtrisent l’oeuvre et en saisissent les nombreuses couches de sens – l’analyse du texte s’est faite d’elle-même par le corps."

Le corps, voilà bien ce qui intéresse Tremblay. Pour fuir l’aridité des Troyennes, ces femmes abandonnées, désespérées et plaintives, il a voulu un jeu ancré dans l’action. "On peut être très résistant à la pièce, il ne s’y passe pas grand-chose. Ce sont des femmes dévastées par la victoire des Grecs sur les Troyens et la perte de leurs hommes; la partition est constituée d’une suite de longues plaintes. Mais je pense que c’est précisément ça qui m’intéresse, j’y vois un défi. Il faut y créer de l’action, y dénicher du mouvement. Je m’attarde au choeur, que je voulais le plus physique possible."

Dans le creuset de l’ancienne piscine du Bain Saint-Michel, un lieu de circonstance, la choralité retentira dans la langue de Sartre, "directe et dénuée des références à la mythologie qui parsemaient le texte d’Euripide". "Le texte est aussi fortement narratif et poétique, ajoute Tremblay, mais il est très dirigé, très clair."

N’empêche, c’est le thème de la survie et de la préservation d’une culture fragilisée qui interpelle le jeune homme. "Les Troyennes, avant tout, cherchent à préserver leur identité et s’inquiètent de la survie de la race. Sartre les avait resituées dans le contexte de la guerre d’Algérie, ce qui ne me paraissait pas très pertinent à Montréal en 2009. S’il faut voir une prise de position sur le Québec dans ma mise en scène, elle se trouve dans la langue de l’ennemi, qui n’est pas grec mais anglais. C’est peut-être un peu grossier dit comme ça, mais ce n’est pas pour raconter que nos ennemis sont les Canadiens anglais. Je ne veux pas faire un spectacle nationaliste, mais peut-être un spectacle sur la langue et l’identité, des sujets d’actualité qui me préoccupent."

Au centre de sa distribution de jeunes comédiennes, il a voulu un pilier, une actrice phare. Pour le rôle d’Hécube, la reine, la chef du clan, il a sollicité, par "pure audace", la grande Catherine Bégin. "Diriger Catherine, pour moi, c’était un fantasme. Je suis heureux qu’elle ait accepté, parce que c’est elle qui tient tous les morceaux en place, j’avais besoin de sa solidité et de son expérience. Elle est incroyable, passionnée, généreuse, et traite tout le monde comme son égal. C’est merveilleux."