Pierre Lebeau : Un homme et son métier
Scène

Pierre Lebeau : Un homme et son métier

Pierre Lebeau incarne à nouveau Matroni, l’un des personnages fétiches qui ont marqué sa carrière, en plus de se préparer à animer un des galas du Grand Rire de Québec. Rencontre avec le comédien, qui se livre sans réserve.

La rencontre débute avec une conversation sur le hockey et les Canadiens de Montréal. Pierre Lebeau a participé au concert qu’ont donné Kent Nagano et l’OSM au Centre Bell en avril dernier pour le 100e anniversaire du club. Ce qu’il retient, ce n’est pas tant le spectacle lui-même que la vision du joueur de hockey Elmer Lach. Trémolo dans la voix, il décrit cette scène où la légende des Canadiens, qui a maintenant 91 ans, se tient seul devant une immense photo de lui accrochée dans un corridor qui commémore les années glorieuses du passé.

"Ça me revient à l’esprit et j’en ai encore des frissons", avoue-t-il en retirant ses éternelles lunettes de soleil. "Un petit monsieur de 91 ans, le dos voûté avec sa canne, qui est là devant sa photo et qui regarde l’athlète sublime qu’il était. C’est ça qui est touchant, de voir le passage du temps sur les humains. Personne n’y échappe. Tu as beau te dire que tu es un dieu de l’arène, 60 ans plus tard, tu deviens un petit monsieur comme tout le monde."

Le comédien est un poète dans l’âme. Celui que tout le monde connaît sous les traits de Méo dans Les Boys et qui a marqué l’imaginaire collectif de la province dans la peau de Séraphin demeure un passionné de littérature et de poésie. Il semble s’émouvoir de la vie dans ce qu’elle a de plus authentique. Des scènes comme celles qu’il vient de décrire et qu’il trouve significatives. "La meilleure façon de vivre, c’est de penser qu’on est immortel, ajoute-t-il. De toute façon, ça va tous nous arriver. On va tous mourir. Penser qu’on est immortel, c’est une façon de vivre qui donne plus de légèreté à tout ça."

Le travail prend une place énorme dans la vie de l’artiste. Il est de ceux qu’on voit partout: sur la scène, au cinéma ou encore dans des séries télévisées telles que Fortier. Que ce soit dans l’humour ou la tragédie, le comédien se plaît à dire qu’il tente constamment d’aller aux extrémités du spectre de sa profession. Une façon comme une autre, aussi, de lutter contre les étiquettes.

"Je travaille comme un malade, confie-t-il. Je travaille tout le temps. Dans ma vie, j’essaie d’aborder le travail avec une certaine légèreté, mais avec beaucoup de sérieux. Je sais, c’est paradoxal, mais c’est comme ça. Il ne faut pas que ça devienne un fardeau, sinon tu ne t’en sors pas. Ça n’a plus de sens. Je ne m’en cache pas. Je suis un workaholic. Si je suis quatre jours sans travailler, je fais des crises de panique. Le mot est fort, mais c’est comme des crises d’anxiété. Pas à cause de l’argent, c’est pas ça. Le vide laisse place à beaucoup d’idées noires chez moi. Le travail, ça m’aide beaucoup. Ça me gèle complètement. L’action me gèle. L’inaction, par contre…"

Un choix de vie qui l’anime, mais qui nous montre un visage vulnérable. Il faut comprendre que Lebeau rejette la rectitude morale et les convenances qui semblent prendre toute la place dans notre société selon lui. Des conditionnements qu’il trouve absurdes alors qu’on se targue de s’être libérés de l’Église et de la religion au Québec. "On est dans une période où le "moi" est tellement devenu important, constate-t-il. On dirait que pour beaucoup de personnes, le but ultime, c’est de prendre soin d’eux. Je ne comprends pas. C’est même passé dans le langage courant: "Prends soin de toi", "As-tu pris soin de toi?", "Oui, je vais prendre soin de moi". Tsé, ça rime à quoi!? Le but, c’est de prendre soin de toi ou de prendre soin des autres? C’est un retournement de l’intérêt vers soi-même. Sa petite personne. Pour moi, il y a quelque chose de stérile là-dedans."

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REVOIR SES CLASSIQUES

Quinze ans après la première mouture, Alexis Martin signe une nouvelle mise en scène de sa pièce Matroni et moi. Rappelons les grandes lignes de cette aventure pleine de rebondissements et de quiproquos. Gilles (François Létourneau dans le rôle créé par Martin) est un jeune étudiant en philosophie. Issu d’un milieu aisé, il vit une histoire d’amour peu conventionnelle avec une sympathique barmaid, Guylaine (Émilie Bibeau dans le rôle créé par Guylaine Tremblay), dont le frère Bob (Gary Boudreault), moins sympathique, fricote avec la pègre. Pris dans une histoire de règlement de comptes, Bob demande à Gilles d’aller livrer un document important au véreux Matroni (Pierre Lebeau). Mais l’étudiant, se croyant malin, remplace le message par une feuille blanche. La rencontre entre Gilles et Matroni se transformera rapidement en un affrontement idéologique haut en couleur. Malgré les menaces, le jeune intellectuel restera sur ses positions… jusqu’à l’arrivée impromptue de son père (Jacques L’Heureux dans le rôle créé par Robert Gravel).

Comment Alexis Martin explique-t-il l’immense succès de sa pièce, depuis sa création par le Nouveau Théâtre Expérimental (NTE) en 1994 jusqu’à l’adaptation cinématographique de Jean-Philippe Duval en 1999, en passant par des reprises à Montréal, Québec et une tournée à travers la province, tout ça entre 1995 et 1997? "Je n’ai pas de théorie unifiée, comme on dit en physique, mais c’est probablement parce que c’est une comédie qui fait rire tout en ayant le mérite de soulever des questions éthiques importantes. Au Québec, souvent, on a associé le rire à quelque chose d’un peu écervelé, d’un peu creux. Avec Matroni et moi, peut-être que la jeune génération a découvert qu’on pouvait aborder des sujets graves tout en se tapant la cloche." (Christian St-Pierre)