S’embrasent : Baiser combustible
Scène

S’embrasent : Baiser combustible

Le coup de foudre. Souvent indescriptible, mais visible à l’oeil nu. La pièce S’embrasent, nouvelle création du Théâtre Bluff, en fait la radiographie. Rencontre avec Sébastien Harrisson, directeur artistique comblé.

Deux adolescents cèdent à leur pulsion amoureuse en s’embrassant intensément dans la cour d’école. Tous les témoins de la scène deviennent narrateurs de cette passion qui ne laisse personne indifférent: élèves, professeurs et même la voisine qui regarde par la fenêtre. Pendant une heure, la distribution formée des jeunes comédiens Christian Baril, Talia Hallmona, Mathieu Girard, Francesca Barcenas et de la vétérante Béatrice Picard offre une performance entre le vidéoclip et l’oratorio où se côtoient aussi danse et multimédia. Mais peu importe la forme empruntée, le fond reste le même: le désir à l’état brut, celui qu’on a tous déjà vécu.

Un coup de foudre, c’est ce que le directeur artistique de Bluff, Sébastien Harrisson, a ressenti la première fois qu’il a entendu ce texte. C’était au festival de théâtre jeune public Momix de Kingersheim il y a maintenant deux ans. Ce sentiment a fait place à l’ébahissement quand il a tenu entre ses mains la version papier de S’embrasent pour la première fois: "Le texte tient sur 15 pages! Aucune des répliques n’est attribuée à un personnage en particulier. Les didascalies sont quasi inexistantes ou alors ce sont des indications scéniques très évasives. Un vrai mystère pour un metteur en scène." Comme un feu sauvage, l’engouement pour cette pièce de théâtre s’est propagé. Éric Jean, directeur du Quat’Sous, a été le premier contaminé. "Quand il a fini de lire le texte, il m’a immédiatement téléphoné pour me dire qu’il acceptait la mise en scène pour une seule raison: il n’avait aucune idée de ce qu’il allait faire!" se souvient Sébastien Harrisson. Rassurez-vous, depuis, ses pensées se sont précisées. Il faut dire qu’il a aussi eu l’avis éclairé de l’auteur du texte, qui a fait le voyage au Québec pour l’occasion. Pendant un mois, Luc Tartar a participé à un laboratoire avec les comédiens pour faire avancer la création. Sébastien Harrisson veut ainsi ouvrir une fenêtre sur le théâtre français contemporain: "On monte plusieurs classiques comme du Molière ou du Corneille. Or, ce qui se fait actuellement là-bas est tout aussi intéressant, sinon plus, pour notre public cible."

BLIND DATE INTERGÉNÉRATIONNELLE

Si le théâtre est un lieu propice de rencontre entre les générations, la pièce S’embrasent est carrément un carrefour giratoire intergénérationnel! Sur scène, la présence d’une femme âgée qui observe la scène du baiser par sa fenêtre. Sans jamais quitter son observatoire, elle prend part à l’action en ravivant ses souvenirs de jeunesse bien enfouis sous la lourdeur de sa solitude. En coulisse, la rencontre de Béatrice Picard et des autres jeunes comédiens a été un choc des générations, dans le sens positif du terme. Les rôles de débutants et d’experts ont été inversés alors que la comédienne s’est trouvée confrontée à une nouvelle méthode de travail avec le metteur en scène Éric Jean. Elle s’est prêtée au jeu de l’improvisation et de l’intuition comme une néophyte tandis que ses jeunes camarades étaient déjà expérimentés en la matière. De façon plus large, la pièce suscitera peut-être un dialogue familial sur la délicate question du désir.

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BLUFF

Bluff a beau se spécialiser dans le théâtre pour adolescents, la compagnie théâtrale est bel et bien majeure. Fondée en 1990, c’est une institution dans le théâtre jeune public. Beau paradoxe quand on s’adresse à une tranche de la population toujours à l’affût des dernières modes. "On ne fait plus du théâtre jeune public comme avant. Au départ, les compagnies tombaient souvent dans le piège de la didactique", avoue Sébastien Harrisson. Celui-ci décrit maintenant le théâtre pour adolescents comme un art s’adressant aux personnes qui sont jeunes de coeur et d’esprit. "J’ai été surpris de voir le succès obtenu par ma pièce D’Alaska, qui se destinait tout d’abord au public scolaire. La tournée s’est finalement retrouvée dans le réseau des salles officielles, parmi les pièces classées pour adultes." Le secret est peut-être dans la façon de traiter les spectateurs de façon équitable, sans se soucier de leur âge? Cette voie est explorée par la compagnie Bluff depuis plusieurs années. Mais la véritable clé de son succès, c’est encore d’encourager le théâtre de création en s’impliquant dans le processus. "Nous demeurons convaincus que la meilleure façon d’intéresser les adolescents, c’est de mettre en scène des enjeux proches d’eux. On leur montre que le théâtre n’a rien d’archaïque ou de muséal, au contraire, c’est tout à fait contemporain." Le site Internet de la compagnie respecte cette consigne en proposant un vidéoblogue de la salle de répétition où les comédiens partagent leur expérience avec les spectateurs.