Cécile Maudet : L’expérience de la beauté
Surprise. Le Centre Segal accueille une compagnie française avec Etty Hillesum, une pièce inspirée du célèbre journal intime de cette jeune femme morte à Auschwitz en 1943. La metteure en scène et comédienne Cécile Maudet raconte.
Celle-là, on ne l’avait pas vue venir. Une production française placée là, au beau milieu de la programmation anglophone du Centre Segal, ça nous avait littéralement échappé. Mais le lieu, cela dit, est des plus appropriés. Quoi de mieux qu’un théâtre juif pour faire résonner les mots d’Etty Hillesum, cette Juive hollandaise qui oeuvra comme assistante sociale volontaire auprès des réfugiés juifs dans les camps de détention de la Seconde Guerre mondiale, et fit au passage une expérience mystique, "l’expérience de la beauté", dit Cécile Maudet.
"Elle regarde la haine montante, elle regarde toutes les contradictions de son époque, et en même temps elle est de plus en plus paisible à l’intérieur d’elle-même." Le journal d’Etty Hillesum, Une vie bouleversée, demeuré confidentiel jusqu’en 1988, fut un véritable succès de librairie en France dans les années 90. C’est que, contrairement à celle de la toute jeune Anne Frank, l’écriture de Hillesum, qui a 27 ans au moment où elle prend la plume, est mature et réfléchie.
Son évolution est fulgurante. De jeune femme sensuelle à l’appétit érotique débordant, elle devient femme entière et spirituelle. Son amour des hommes n’était-il pas, comme l’ont affirmé certains, le germe de sa soif d’absolu? "Peut-être, pense la metteure en scène. Mais elle voudrait bien accéder à un état d’esprit qui la débarrasserait de son appétit sexuel. Par contre, elle ne se juge jamais trop sévèrement, elle ne se convainc jamais de cesser ses aventures sous prétexte que ce n’est pas noble ou spirituel."
C’est du moins un homme qu’elle a fréquenté, un psychanalyste nommé Julius Spier, qui la convainc d’écrire. "Il la pousse à regarder sa vie intérieure sans la juger. Elle raconte tout ce qui la traverse sans aucune morale et dans un grand désir de vérité. Alors sa vie se simplifie, se purifie, par son grand désir d’être vraie avec elle-même."
Surtout, rien de doctrinaire dans sa pensée, même si on a souvent fait une lecture chrétienne du journal. Etty, qui n’est pas une juive pratiquante ni une aspirante chrétienne, aurait vécu une expérience de la foi qui dépasse la religion. "À la fin de sa vie, précise Maudet, elle disait qu’elle lisait saint Augustin et qu’elle se rapprochait de la foi chrétienne, mais on ne doit pas la réduire à ça. Le journal d’Etty est une porte ouverte vers une spiritualité plus large. Elle pose une question très contemporaine, un peu prophétique: Comment nous poser aujourd’hui la question de Dieu, en toute vérité et en toute intimité, avant de nous poser la question d’une religion?"
Le spectacle du Théâtre de l’Arc-en-Ciel, qui tourne en France depuis 2001, met en scène Maudet et sa comparse Sophie-Iris Aguettant. "On a dédoublé le personnage parce qu’on n’avait pas envie d’un travail d’identification et que ça nous permettait de représenter toute la richesse, toute la complexité de la femme. On a voulu que la parole coure entre nous, et jusqu’à la musique et les images projetées en direct, comme une parole en mouvement, offerte au public et à l’imaginaire de celui qui l’entend et la voit."