Anne-Marie Olivier : Jeu de mémoire
Sous la plume d’Anne-Marie Olivier, Saint-Roch était devenu décor de théâtre. Avec Annette, pièce présentée au Périscope, lumière sur Limoilou.
La nouvelle héroïne de l’auteure, Annette Rochette, est foudroyée par un ACV en pleine Place Fleur-de-Lys… le jour du premier référendum. Pendant qu’Annette joue sa vie, le Québec joue son pays. Comme dans Gros et Détail, les petits événements côtoient les grands. "J’avais envie de relancer le dialogue sur la question nationale, mais sans l’aborder de front parce que dès qu’on touche au 20 mai 1980, beaucoup de gens se braquent", explique Anne-Marie Olivier.
C’est là qu’est née l’idée d’une métaphore avec une partie de hockey, "vu que de toute façon, le projet national est pas mal sur la glace… Et que l’appartenance à une équipe de hockey est souvent plus forte que celle au pays", affirme Olivier, de sa petite voix rieuse.
Dans la tête de l’auteure, la petite et la grande histoire s’entremêlent; les gens inspirants sont ceux qu’elle appelle "les petites gens géants". En matière de héros ordinaire, difficile d’accoter son Annette Rochette: une mère engrossée en vitesse un soir de Saint-Jean-Baptiste par un homme "qui se zippe et qui s’en va". Née en pleine parade du Carnaval, elle "délivre" l’épicerie à 11 ans et "pète des yeules à 15". Le tout, dans Limoilou, "parce que comme elle, Limoilou, c’est à la fois tendre et rock’n’roll".
ET SI C’ETAIT VRAI?
Quelque part entre la vie et la mort, le personnage d’Annette voit défiler devant elle son existence en dents de scie. Réalité ou fantasme que ce supposé film de notre vie? Anne-Marie Olivier a posé la question au neurologue Francis Bernard: "Il m’a dit qu’au moment de la mort cérébrale, tes neurones ont une démarche adrénergique et que si y’a un seul moment où tu peux voir ta vie défiler, c’est à ce moment-là. Lui, il y croyait."
Également au générique du nouveau spectacle d’Anne-Marie Olivier, on trouve Jean Provencher, chargé de la validation de certains faits historiques. Au final, il n’y a pas que le savoir de l’historien qui traverse la pièce, mais aussi un morceau de sa propre vie: "Jean m’a raconté qu’avant l’ère du recyclage, il prenait ses bouteilles de vin vides, y insérait des messages, avec ses coordonnées, les jetait à l’eau et attendait le résultat ou le coup de téléphone. C’était trop beau, fallait que je l’utilise!" confie l’auteure.
TOUJOURS SUR LE METIER
Entre Annette et Gros et Détail, surnommé affectueusement "Gros" par sa créatrice, il y a eu Le Psychomaton, un texte commandé à l’auteure par le Groupe Ad Hoc. Le succès du spectacle s’est porté pâle… Loin d’être déçue, Anne-Marie Olivier analyse: "Une commande, c’est vraiment un autre monde. Ça demande un détachement. Faut que tu acceptes de voir des défauts de construction et de ne pas pouvoir les réparer. Quand c’est ta compagnie, tu peux travailler sur les fils qui dépassent jusqu’à la dernière minute." Des mailles, elle semble en voir constamment, car ses textes font l’objet d’une intense réécriture: "Y’a déjà eu une douzaine de versions d’Annette!" Elle explique: "La personne qui paie 30 $ en plus de la gardienne, faut que j’essaie de lui dire quelque chose qui vaut la peine. Je me demande constamment si ce qu’on dit est assez important, si on dit assez de choses."
Retour au solo, donc, mais "un solo en équipe", précise-t-elle. Une équipe à l’allure olympique, qui a aussi pour mission de "le dire quand c’est pas bon!" Et le jugement est crédible quand il provient de Karine Ledoyen, Kevin McCoy et Lionel Arnould, tous deux collaborateurs de Robert Lepage, ou Claudie Gagnon, "mon Alice au pays des merveilles", commente la dramaturge. Quant au conjoint-musicien, Mathieu Girard (Les Batinses), il interprète sur scène la trame composée pour Annette et, au passage, quelques personnages secondaires.
LIMOILOU, MON AMOUR
"J’adore Limoilou. C’est un des plus beaux quartiers", affirme Anne-Marie Olivier. "Y’a plein d’affaires qu’on peut voir juste dans Limoilou. Y’a quand même une coopérative où vivent des communistes et des anarchistes!" Le théâtre d’Anne-Marie Olivier n’a rien du tour de ville touristique. Avec Annette, on visite plutôt la boucherie de la 5e Rue, où le proprio a découpé sa femme en quartiers, les bineries ou la "forteresse du seigneur Giffard".
Les lieux n’ont peut-être rien de bucolique, mais ils inspirent à Anne-Marie Olivier une langue poétique, qu’elle travaille comme du son. "Ce qui m’intéresse, c’est la musique des mots. C’est l’fun quand ça sonne." Pour écrire Annette, elle s’est plus que jamais astreinte à manier le vers. "C’est comme un muscle, une fois que tu commences à le travailler, il répond. Je me mets à faire un ou deux paragraphes et là, ça sort. Dans ce temps-là, je m’énerve parce que je parle et je me mets à rimer!" Elle s’empresse d’ajouter: "Mais, c’est pas de la poésie vaporeuse. Je voulais quand même qu’il y ait de l’action, des microaventures." De fait, la vie de son Annette n’a rien d’un chemin de traverse. À l’image de la quête d’un pays. Ou de la coupe Stanley, quoi…