Bernard Lavoie : Intolérance
Après la remarquée production new-yorkaise, le film qui en a découlé et les nombreuses mises en scène partout aux États-Unis, Le Projet Laramie est monté au Québec pour la première fois. Conversation avec le metteur en scène Bernard Lavoie.
Étonnant qu’une telle pièce, dont le texte est indissociable de la démarche documentaire de ses créateurs d’origine (Moisés Kaufman et les membres du Tectonic Theatre Project), se soit autant promenée. Au fil du temps, elle a cessé d’être vue comme un assemblage d’entrevues documentaires pour être considérée comme un véritable matériau dramatique, une pièce de théâtre autonome que Bernard Lavoie et sa jeune troupe issue du Collège Lionel-Groulx ont tout de suite voulu faire sortir des murs de l’école.
Le Projet Laramie est constitué d’entrevues réalisées par des acteurs new-yorkais dans la petite ville de Laramie au Wyoming, après l’assassinat d’un jeune étudiant gai. "Et nous, on y ajoute une autre couche, explique Lavoie. C’est Montréal qui raconte New York qui raconte Laramie. Même si on n’a pas nous-mêmes fait le processus documentaire, la structure du texte par assemblage d’entrevues permet la fragmentation du discours et le principe de l’accumulation d’événements, ce qui empêche un propos unilatéral. L’accumulation propose au spectateur de bâtir une réflexion personnelle sur le sujet. D’ailleurs, les propos sont parfois tellement tristes que le principe de l’entrevue permet une distance, un recul bienfaisant. Il y aurait sinon un grand danger de sortir les violons et de tomber dans le mélodrame."
Le Projet Laramie présente une Amérique complexe, écartelée entre son désir de tolérance et ses préjugés bien enracinés, entre son apparente ouverture et sa soumission à certains diktats religieux et traditions conservatrices. "On y voit le danger qui guette les bien-pensants, ajoute Lavoie. À Laramie, tout le monde dit qu’il faut vivre et laisser vivre, et que les gais sont les bienvenus tant qu’ils ne touchent pas aux hétéros. On voit bien comment ce discours est glissant et qu’en fait, derrière ça, se cache une haine profonde. La pièce nous fait nous interroger sur notre propre degré d’intolérance. Ceux qui ont défendu les assassins ont voulu faire croire que c’était un événement exceptionnel, alors que non, dans certaines circonstances, cette violence-là devient la norme. Ce n’est pas propre au Wyoming, ni à l’Amérique du Nord; l’humain a cette propension à détruire ce qu’il ne comprend pas. Et je me dis que ça aurait pu arriver ici."
Pour que cette prise de conscience-là s’enclenche, Lavoie a aussi cherché un jeu d’acteur à la jonction de la fiction et du réel. "L’acteur ne doit jamais s’oublier complètement dans un personnage – il doit prendre personnellement position dans l’action et le discours qu’il porte sur scène. Je veux qu’il se demande chaque fois ce qui motive le geste ou la prise de parole de son personnage, comment se déploie la mise en action de sa pensée, et comment cette pensée rejoint une facette de sa propre personnalité ou de sa propre pensée."