Les Troyennes : Bain de larmes
Pour son premier spectacle intitulé Les Troyennes, le Théâtre Point d’Orgue propose une tragédie d’Euripide adaptée par Sartre, avec 21 comédiens. Comme quoi on peut être jeune et voir grand!
Écrites en 415 av. J.-C. par Euripide et revisitées en 1965 par Jean-Paul Sartre, Les Troyennes mettent en scène un groupe de femmes sur le point d’être réduites en esclavage après la victoire des Grecs sur les Troyens. Aujourd’hui, alors que les guerres laissent encore bien des veuves éplorées à la merci des soldats, le propos de la pièce n’a rien perdu de son actualité.
La difficulté de ce texte est qu’il est presque exclusivement fait de lamentations, celles de femmes désespérées qui viennent de voir leur peuple anéanti. Ajoutons à cela le contexte mythologique parfois touffu, et le risque de perdre le spectateur en route est élevé. Louis-Karl Tremblay évite toutefois élégamment cet écueil en introduisant beaucoup d’action dans sa mise en scène et en misant sur un jeu très physique. Le recours au Bain Saint-Michel comme lieu de spectacle s’avère une très bonne initiative, les murs de la piscine représentant les murailles de Troie, qui de défense devinrent prison. L’eau qui en emplit le fond apporte une grande tension dramatique: trempées, leurs vêtements leur collant à la peau, les Troyennes nous apparaissent dans toute leur détresse et leur vulnérabilité. Quant au bruit de l’eau, il exprime l’horreur aussi bien que le feraient des cris.
Les jeunes comédiens s’acquittent très bien de leur tâche, notamment les Troyennes, qui ne sont nullement éclipsées par la présence de Catherine Bégin, tête d’affiche de la pièce. Plusieurs moments sont empreints d’une grande émotion – notamment la scène où elles disent leur désespoir dans des langues différentes, exprimant ainsi l’universalité de la souffrance engendrée par la guerre. Le choeur, de par sa taille, a un fort impact.
Ce qui est moins heureux, c’est cette idée qu’a eue Tremblay de faire parler les Grecs en anglais. S’il souhaitait par là faire une référence à l’identité québécoise menacée, c’est un pétard mouillé. À vrai dire, on y voit plutôt une référence agaçante à l’impérialisme américain, ce qui détourne notre attention du drame et en réduit la portée (sans parler des pauvres spectateurs qui ne maîtrisent pas forcément l’anglais). Mais malgré cette maladresse, ce premier spectacle fait du Théâtre Point d’Orgue une compagnie à surveiller, capable de choix audacieux.