Nini Bélanger : Vieillir seul
Après l’avoir présenté dans un appartement d’Hochelaga-Maisonneuve l’an dernier, Nini Bélanger propose son spectacle Endormi(e) au Théâtre La Chapelle. Rencontre.
Dans la vie comme au théâtre, Nini Bélanger n’est pas du genre à précipiter les choses. Elle s’exprime d’une voix douce, jamais brusquée, toujours bien posée, avec calme et mesure. Elle est entrée au programme de mise en scène de l’École nationale de théâtre à l’âge de 32 ans, et a depuis travaillé sur cet unique projet, Endormi(e), une pièce qu’elle peaufine et retravaille dans un grand souci de précision.
Inspirée des Belles Endormies, célèbre roman de l’auteur japonais Yasunari Kawabata, la pièce n’en est toutefois pas une adaptation fidèle. La trame de base demeure: c’est l’histoire d’un vieillard (Michel Mongeau) fréquentant une maison de prostitution où de jeunes femmes endormies et droguées, Catherine-Amélie Côté et Caroline Bouchard) lui sont offertes pour la nuit, sans qu’il ne puisse les toucher ou entrer en contact avec elles. Le roman, rempli de descriptions où se conjuguent la sensualité et l’appétit charnel, le désir de mort et l’ingratitude de la vieillesse, a été interrogé et complètement refaçonné par Pascal Brullemans, auteur connu pour ses collaborations avec le metteur en scène Eric Jean. L’essence de l’oeuvre demeure, mais les passages oniriques sont différents, le texte porte vraiment la signature de Brullemans, se dissocie un peu du Japon et propose une réflexion différente, axée sur le thème de la solitude plutôt que sur la sensualité.
Nini Bélanger explique: "Je suis dans une période très exaltante de ma vie, où je suis constamment occupée, sollicitée, où je travaille beaucoup et fais des rencontres, et on oublie souvent dans ces moments-là qu’ils sont éphémères et qu’en vieillissant, la solitude nous rattrape. Quand ce personnage de vieillard se retrouve dans cette maison de prostitution, il se dit que c’est improbable et que ce n’est pas à l’image de l’excitante vie qu’il a menée. Mais il n’a d’autre choix que de constater que tout le monde est mort autour de lui et qu’il a tout perdu de sa propre vie. Le show parle de la tristesse de finir seul et perdu, de la peur de mourir, mais aussi du désir de mort. Cette contradiction-là est très riche."
Comme elle aime le détail, le silence et les atmosphères, Nini Bélanger a choisi de présenter l’histoire de cet homme avec minutie et en ralentissant un peu le temps, comme si elle observait tout cela à la loupe, en s’attardant longuement aux couleurs et aux textures. Son esthétique est hyperréaliste, prône l’économie des mots et le silence. "J’aime beaucoup les moments de silence au théâtre. Je suis très contemplative dans la vie et j’aime prendre le temps d’installer des affaires. On est dans quelque chose de très délicat et d’un peu hypnotique. Je veux que le spectateur se sente voyeur, englobé dans le lieu et la situation, jusqu’à retenir son souffle pour ne pas perturber l’intimité." Dans l’appartement privé où ce spectacle est né, l’effet était des plus saisissants. Reste à voir comment cette atmosphère survivra dans une salle de théâtre à l’italienne…