Jocelyne Montpetit : Voyage au bout de la nuit
Jocelyne Montpetit s’enfonce dans une nouvelle exploration existentielle avec Nuit_Nacht_Notte. Un solo tout en intériorité et en sensibilité.
L’idée de ce nouveau solo a germé il y a environ trois ans au pied du lit du maître de butô Kazuo Ohno, un homme rongé par les années. "Il était à l’intérieur de sa nuit à lui, ni présent ni absent, mais dans un espace suspendu mentalement, souffle Jocelyne Montpetit. Ça m’a bouleversée et ça m’a renvoyée à ma propre nuit, à mon propre questionnement sur le sujet. Et c’est étrange parce qu’en travaillant la pièce maintenant, j’y trouve quelque chose qui peut faire écho à la mort récente de Nelly Arcan."
Nuit éternelle, nuit intérieure, nuit sexuelle, onirique, poétique, métaphorique… Décliné en trois langues, le titre souligne la multiplicité des images qui traversent la pièce. Car la chorégraphe ne nous soumet jamais à une vision monolithique du monde. Elle passe par un large éventail d’états corporels pour livrer un kaléidoscope d’impressions et d’émotions qui infusent lentement dans l’âme du spectateur qui veut bien se laisser pénétrer. La gestuelle est minimaliste et la présence, extrême. Passée maître dans l’art de l’introspection, Montpetit a le don de relier son public à ce qu’il y a de plus intime en lui, et aussi de plus universel.
"Je me sens plus proche de l’écrivain que du danseur, confie-t-elle. J’ai besoin de solitude, de retraite et d’introspection pour créer. J’entre dans un lieu physique et aussi mental: ça se passe en studio, mais aussi à l’extérieur. Je m’inspire beaucoup de la littérature, de la peinture, de la musique, du cinéma, des arts visuels… Des couches d’expériences s’accumulent, certaines me ramènent à des expériences du corps et tout cela influence le travail. Il y a un emmagasinement de mémoires et, selon les thèmes, je fais ressortir certains éléments."
Pour cette oeuvre, elle s’est nourrie, entre autres, du cinéaste Tarkovski, du sculpteur Bernini, de compositeurs inspirés par la nuit tels que Schubert, Mahler ou Beethoven et de poètes comme Rilke ou Novalis qui ont beaucoup écrit sur le thème. Puis, d’élagage en élagage, elle n’a gardé qu’un court poème, Ode à la nuit de Fernando Pessoa, qui donne de la nuit une vision aussi multiple que la sienne. Le poème sera dit par un collaborateur régulier, Francesco Capitano, dont la voix est si pleine et vibrante qu’elle devient à elle seule un corps dans l’espace. Cette fois pourtant, l’acteur italien apparaîtra brièvement sur scène dans l’un des clairs-obscurs qui habillent la pièce, influence avouée du Caravage et de séjours répétés à Rome.
"J’aime beaucoup Pessoa parce qu’il est dans un espace-temps particulier, quelque chose qui flotte dans l’espace et dans le temps et qui m’inspire beaucoup, commente la chorégraphe. Je me sens proche de ça dans mon travail sur le corps. (…) Il y a toujours un temps intérieur qui a été sondé et qui s’extériorise en essayant de sculpter l’espace qui l’entoure. Ce temps évolue parallèlement au temps du spectacle. Il est élastique, il se gonfle tandis que le mouvement reste un mouvement qui évolue dans un espace en essayant de rejoindre, peut-être, un autre espace-temps." Souvent, il y parvient et c’est ce qui fait toute la magie des créations de Montpetit.