Dulcinée Langfelder et Chloé Sainte-Marie : Les oubliés de la santé
Les artistes Dulcinée Langfelder et Chloé Sainte-Marie soulignent la Semaine des proches aidants avec la reprise de la célèbre pièce multidisciplinaire Victoria.
Ils sont plus de trois millions au Canada et on estime qu’avec le vieillissement de la population, ils seront deux fois plus nombreux d’ici 10 ans. Appelés "proches aidants" ou "aidants naturels", ils apportent un soutien constant à un proche ou à un ami atteint d’un problème physique, cognitif ou mental.
Assumant en moyenne 80 % des soins nécessaires à ces personnes en perte d’autonomie, ils permettraient une économie de quelque cinq milliards de dollars annuellement au système de santé. Pourtant, ils ne bénéficient d’aucune reconnaissance sociale ni d’appui financier des pouvoirs publics.
"J’irais même jusqu’à dire qu’il y a une sorte de mépris pour l’aidant, comme si le fait qu’il veuille s’occuper de quelqu’un qui va mourir, qui n’est plus utile à la société, signifiait qu’il n’est pas bon lui-même", lance Chloé Sainte-Marie qui accompagne son conjoint Gilles Carle dans la décrépitude de la maladie de Parkinson depuis près de 20 ans.
"L’aidant reçoit de l’aide des CLSC en médecins, infirmières et autres thérapeutes, mais cela ne suffit pas, poursuit-elle. Pour que ce soit vivable, il nous faudrait des allocations, comme au Vermont, en Suède ou en France, ou qu’on nous fournisse des bras pour nous donner du répit."
Comme de nombreux aidants, la chanteuse a dû vendre des biens pour pouvoir s’en sortir. Comme 25 % d’entre eux, elle a vécu un épisode dépressif, résultat de l’épuisement physique et mental. C’est dans cette période noire qu’elle a eu l’idée de transformer la demeure familiale en un centre où quatre personnes semi-autonomes seraient accueillies en plus de Gilles Carle, moyennant 3700 $ par mois.
En plus de maximiser les ressources humaines et d’offrir un beau ballon d’oxygène aux aidants naturels de ces cinq malades, la formule permettra d’améliorer leur qualité de vie dans un cadre champêtre où les arts font partie du quotidien. La Maison Gilles Carle ouvrira en novembre grâce à l’appui de donateurs privés. Chloé Sainte-Marie rêve toujours de voir les pouvoirs publics éponger le déficit annoncé de cette entreprise.
L’ART COMME OUTIL DE MÉDIATION
Depuis 2003, le Réseau des professionnels pour les proches aidants (RPPA) organise chaque année une semaine d’activités pour sensibiliser les individus et les pouvoirs publics à la cause des aidants naturels. C’est ce temps-là que l’artiste multidisciplinaire Dulcinée Langfelder a choisi pour fêter les 25 ans de sa compagnie en reprenant la pièce Victoria, créée voilà 10 ans d’après des textes de Charles Fariala. Elle y campe en fauteuil roulant une nonagénaire espiègle et pleine d’humour dont la mémoire s’effiloche et qui en fait voir de toutes les couleurs à son infirmier – Erik Lapierre ou Éric Gingras. Traduite en cinq langues, l’oeuvre qui mêle théâtre, danse et multimédia a remporté un franc succès dans les 15 pays où elle a été présentée.
"Je me suis rendu compte avec cette pièce à quel point l’art peut être plus encore qu’une nourriture de l’âme et servir un but direct, affirme Langfelder. Il faut se demander collectivement qui doit s’occuper de la prise en charge des personnes en perte d’autonomie: le service public, le privé, la famille ou un mélange des trois. Et après Victoria, les gens sont toujours ouverts et prêts à parler de ces thèmes. J’ai sollicité Chloé pour encourager des discussions après les représentations sans savoir qu’elle avait déjà vu la pièce."
Une "rirologue" participera aussi à l’une de ces rencontres et Langfelder espère pouvoir y attirer des professionnels de la santé et des politiciens. Mais au-delà des discussions politiques, c’est à l’ouverture des coeurs que travaille Victoria. Aussi drôle qu’attachant, le personnage favorise l’identification et la réflexion sur le vieillissement et la décrépitude.
"Pendant la création, je me suis demandé où on pouvait trouver une victoire personnelle quand on a perdu le pouvoir et l’autonomie, souligne la comédienne. Et j’ai découvert qu’il y a des choses qu’on ne perd pas, comme le sens de l’humour ou le regard. Il devient beaucoup plus riche parce qu’on exprime tout à travers lui."
"On ne perd pas non plus sa pensée, sa vision du monde, renchérit Sainte-Marie. Gilles ne parle plus et on me demande souvent s’il est lucide et en contact avec la réalité. J’ai toujours refusé de répondre à cette question parce que je ne suis pas dans sa tête et qu’à partir du moment où on décide qu’il n’est plus là, on le condamne."
Accepter qu’un être cher ne soit plus ce qu’il a été, reconnaître malgré tout sa beauté, sa pleine valeur d’humain et contribuer à lui donner les moyens de conserver sa dignité. Voilà un beau défi individuel et sociétal à relever.
Réseau des professionnels pour les proches aidants
www.rppa-pnc.com