Ni noir ni blanc : L’aile gauche de l’Église
Le Théâtre des petites lanternes braque sa lumière sur un des piliers de l’histoire québécoise, les congrégations religieuses. Ni noir ni blanc ou la vie au sein de "l’aile gauche de l’Église".
"Dans 20 ans d’ici, les congrégations religieuses, ça n’existera plus en Amérique du Nord. Ça n’existera plus", insiste Angèle Séguin, que l’on rencontre quelques semaines avant la présentation de Ni noir ni blanc, nouvelle production du Théâtre des petites lanternes dont elle signe le texte. "Elles ont été là pendant 400 ans, poursuit-elle, elles ont fondé notre pays, notre Québec. C’est pour ça que c’est important d’en parler."
Mis en scène par Pascale Tremblay, Ni noir ni blanc accompagne, des années 40 à nos jours, quatre personnages (interprétés par Mélissa Dion Des Landes, Martin Gougeon, Christine Pinard et Nathaniel Allaire Sévigny) faisant le choix de la réclusion en congrégation. "On dit que c’est un spectacle sur la vie religieuse, mais c’est un spectacle sur les choix. Moi, j’ai vraiment articulé ma mise en scène autour des choix qu’ils ont dû faire et des déchirements qu’ils ont dû vivre dans leur vie personnelle. Ç’aurait pu être un spectacle sur la vie politique."
CE QU’IL FAUT POUR CRÉER
Comme c’est la coutume au Théâtre des petites lanternes, Angèle Séguin est d’abord allée boire, pendant deux ans, à la parole de religieux afin de donner un premier élan à son travail. "L’idée, pour moi, c’était de me laisser inspirer de leur réflexion, de leur vécu, de leur histoire et après, de trouver mon espace de liberté dans l’écriture, de faire émerger des personnages."
"Renoncement", "contraintes", expressions qui reviennent souvent pendant la discussion. "Pas de famille, pas d’enfants, pas d’argent, pas de liberté de pensée", énumère Pascale Tremblay qui, elle aussi, accompagnée de l’équipe de création, est allée à la rencontre des Petites Soeurs de la Sainte-Famille. "On a assez tripé!" s’exclame-t-elle avant de louer l’ouverture, d’esprit et de coeur, des femmes côtoyées. "J’en ai pris une avec laquelle je m’entendais mieux et je lui ai demandé: "Est-ce que ç’a été dur de ne pas avoir d’enfants?" Ces femmes ont dû renoncer à leur féminité. Tsé, une robe qui te cache au grand complet…"
L’HÉRITAGE
Ministère de l’Éducation, système de santé; malgré son importance, le legs des congrégations religieuses au Québec moderne est fréquemment minoré. Pour Angèle Séguin, il y avait là certains accomplissements à mettre en exergue. "Elles ont contribué aux grands changements sociaux. Ce n’était pas la parole qui était première, c’était l’action. Aujourd’hui, la parole est beaucoup en avant, mais peu le silence. On n’a pas le temps de prendre du recul et de regarder ce qui est en avant, de se demander quelles sont les actions que l’on va poser."
Le rapport des Québécois avec la religion demeure donc trouble. Chaque événement historique souligné dans l’actualité (récemment les 50 ans de la mort de Duplessis) fait ressurgir son lot de vieilles blessures mal guéries. La dramaturge trace pour sa part une ligne entre deux ordres: les prêtres, les évêques, les cardinaux d’un côté, et "l’aile gauche de l’Église", les frères et les soeurs, de l’autre. "Faut dire qu’avant le milieu des années 60, il n’y avait pas de services sociaux, d’assurance maladie. Les congrégations religieuses étaient LE filet social."
Les deux créatrices ont d’ailleurs pu mesurer la force remuante du texte lors de lectures publiques. "Certaines soeurs disaient: "Enfin il y a des affaires qui sont révélées au grand jour." D’autres: "Vous n’avez pas le droit.""
Et madame Séguin de conclure: "Le théâtre est là pour ramener quelque chose à la surface. Nous ramenons un pan de notre histoire qui est majeur et qui permet de regarder vers demain. Qu’est-ce qu’on fait, nous, demain?"