Patric Saucier : Le ring intérieur
Scène

Patric Saucier : Le ring intérieur

Patric Saucier se met lui-même en scène dans Le Boxeur: La Fin d’un gros câlisse, un texte de son cru. Combat personnel.

Brossant le portrait d’un homme dont l’histoire se trouve constamment placée sous le signe de son physique imposant, Le Boxeur: La Fin d’un gros câlisse est né d’un événement réel révoltant, auquel Patric Saucier sentait le besoin de répondre par un acte aussi fort, mais allant dans le sens du respect de soi. "J’étais à Paris et j’ai demandé à une fille de m’indiquer mon chemin, se souvient-il. Elle s’est arrêtée, m’a regardé et est repartie. J’ai ressenti un tel mépris! Quand je suis rentré à l’hôtel, je me suis mis à écrire l’histoire d’un gars à qui ça arrive, mais qui court après la fille et lui en pète un dans la face. Cet événement m’a ramené à toutes les fois où on m’avait regardé en trouvant que j’étais trop gros. Ça a fait ressortir plein d’affaires que je n’avais sûrement pas encore exorcisées." L’étiquette de "gros", accolée dès l’enfance; ses oncles, lui répétant qu’il allait devenir boxeur; les gars qui, pour faire leurs preuves, cherchaient à le battre, etc. "C’est très personnel, mais en même temps, je m’assure de distancier le personnage, observe-t-il. En fait, il s’agit d’une fiction basée sur des émotions réelles." Effectivement, il n’a pour sa part jamais connu la prison, où se scelle ultimement le destin tragique de son antihéros. "Il y a quelque chose du drame annoncé dans ce récit; je raconte d’où ça part et comment c’est arrivé, explique-t-il. Ce gars s’est battu, battu, battu et, tout d’un coup, il laisse aller, il accepte de mourir. Il n’a jamais voulu être boxeur, mais l’est devenu malgré lui. Et l’ironie, c’est que ça l’amène à se faire respecter, à se sentir quelqu’un."

Personnel, ce texte l’est aussi par sa forme. "Ma façon de construire une histoire est très théâtrale, non linéaire et complexe", note l’auteur. Ainsi les événements sont-ils relatés dans le désordre, par une panoplie de personnages qu’il interprète tous lui-même. Cela, du fond d’une cellule aux murs constitués de sommiers de lits de camp, pouvant évoquer tant une cage de combats extrêmes que l’enfance. "C’est en 10 rounds et plein de monde vient le visiter. Il y a beaucoup d’ellipses, le ton est assez poétique… Ce n’est pas hyperréaliste, précise-t-il. Les gens sont capables d’imaginer que je deviens la mère, le père, Mohamed Ali, etc. Je table sur ce plaisir de la convention. Aussi, il y a une part d’interprétation du public. C’est un casse-tête à x morceaux, avec des pièces plus émotives, d’autres plus dures, des affaires vraiment violentes ou très douces. Il faut accepter de ne pas tout comprendre tout de suite." De toute façon, il fait valoir que l’important demeure l’émotion suscitée. Et à en juger par la réaction des spectateurs lors des lectures publiques, celle-ci semble passer. "Le monde est très, très touché, remarque-t-il. Tu t’en rends compte quand tu lis et que la moitié de la salle braille. Mais ce qui était vraiment fascinant, c’était de voir à quel point les gens se reconnaissent. Ce qui ressort de la pièce, c’est la répulsion de la différence et, ça, on l’a tous vécu, on a tous été ostracisés un jour ou l’autre." Une sensibilité que le jeu et la mise en scène sauront certainement porter encore plus loin…