Pierre Brassard, Laurent Paquin et Stéphane Rousseau : Les coulisses du pouvoir
Scène

Pierre Brassard, Laurent Paquin et Stéphane Rousseau : Les coulisses du pouvoir

Coalition ou renversement du gouvernement? Cette question reviendra nous hanter pendant la cinquième édition des Parlementeries, postées pour la première fois sur la colline fédérale. Entrevue politisée et très sérieuse avec Pierre Brassard, Laurent Paquin et Stéphane Rousseau.

Essayer de faire rire en recréant de toutes pièces une assemblée parlementaire, n’est-ce pas ramer à contre-courant? Chez les humoristes, il est de bon ton de dire que la politique n’intéresse pas le public, qu’en ces temps de cynisme et de désintéressement, il vaut mieux être le reflet de la société et réfréner ses envies de parodier les politiciens. "C’est vrai, dit Pierre Brassard, on entend ça tout le temps. Mais je pense que l’humour politique a toujours sa place, et de mon côté, je n’ai jamais eu peur de m’y frotter."

Même son de cloche chez Laurent Paquin, qui n’hésite pas à se dire politisé même s’il se demande quel degré d’intérêt pour la chose politique on doit atteindre pour assumer l’étiquette. "Il fut un temps au Québec où l’humour politique n’intéressait personne, mais je sens qu’il est de plus en plus de retour. C’est bon signe que les gens aient envie de rire de la politique. D’une certaine façon, parler de politique par le biais de l’humour est une forme d’engagement; en tout cas, c’est un geste politisé. Mais je sais que certains humoristes ne veulent pas critiquer et prennent plutôt la voie de l’absurde. Le spectacle, je pense, sera à l’image de ces différentes postures humoristiques."

Stéphane Rousseau, qui se prête au rôle du président de l’assemblée, est de ceux-là. Il se dit peu politisé, et profite de son rôle de chef d’orchestre pour injecter du spectaculaire à la joute politique. "Mon rôle, c’est de donner du rythme et d’ajouter de la couleur. C’est une position délicate, il faut savoir intervenir à des moments choisis, pour gentiment déstabiliser les humoristes qui font leur numéro. Je leur réserve quelques surprises. Ça me plaît aussi parce que je peux me payer la tête de tous les politiciens qu’on aura sur place."

Sur une note plus sérieuse, il ajoutera: "Même si c’est cliché, je considère qu’on parle un peu au nom du peuple. En tout cas, on se permet de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. C’est plus impliquant que n’importe lequel des Galas Juste pour rire." Peut-être, répondrait Brassard, mais jusqu’à quel point? "Je pense que le personnage de Raymond Beaudoin, à une certaine époque, faisait de moi un humoriste plus engagé, qui a marqué les esprits par son irrévérence envers les politiciens. Je dirais que Les Parlementeries ne sont pas aussi virulentes, ce n’est pas un statement aussi fort. Ressasser des thèmes politiques, attirer l’attention sur des incohérences politiques, ça reste un acte d’engagement. Mais à portée limitée, faut pas se leurrer."

Ottawa mon amour

Politisés ou non, les trois humoristes s’entendent sur leur intérêt croissant pour la scène fédérale. Rien à faire des tièdes confrontations entre Pauline Marois et Jean Charest. C’est à Ottawa que ça se passe. Paquin est catégorique. "Quand Jean Charest justifie le faible taux de participation aux élections par le fait que la température était mauvaise le jour du scrutin, je trouve que ça témoigne de son incapacité à redonner vie à la politique provinciale." Sans compter que, comme le précise Brassard, "les menaces de renversement du gouvernement sont constantes au fédéral. Ça bouge et on aime ça. Les libéraux espèrent un sauveur, pendant que Stephen Harper monte dans les sondages parce qu’il joue une toune des Beatles. On ne peut rien espérer de mieux". "Et puis, continue Paquin, on se plaît tellement à détester Stephen Harper. Au provincial, c’est fade, de la petite politique ordinaire sans grands remous, et c’est rempli de contradictions et d’opportunisme qui nous font douter très fort de la vision de nos politiciens."

Rousseau avoue aussi qu’il adore se moquer du style Harper. Et du conservatisme au sens large. Le jour de notre entretien, il venait de recevoir le texte concocté par Rémy Girard, comme lui un petit nouveau aux Parlementeries. "Rémy a créé un personnage savoureux de gars de l’Ouest canadien. C’est assez mordant. Mais c’est aussi très fin. C’est important de mesurer ses mots parce qu’on a une grande responsabilité. Un humoriste qui a envie de "puncher", ça peut frapper très fort. Tout peut se dire, mais frapper dans le tas sans direction, ça ne donne pas grand-chose. Faire sourire et réfléchir en même temps, ce n’est pas aussi facile qu’on le croit. Quand l’humour se borne à faire des constats et à enfoncer le clou, il ne sert à rien." Sages paroles, Stéphane.

Prendre position

Entre la gauche et la droite, le Canada et le Québec, la coalition ou le respect du chef, les trois joyeux lurons ont brassé pas mal d’idées dans les derniers mois. Endosser le rôle d’un chef de parti, même si ce n’est que rigolade, ça ne se fait pas à la légère. Paquin s’interroge. "Je joue le chef d’un parti souverainiste, et c’est une position délicate pour moi qui suis souverainiste. Je ne veux pas être complaisant envers les souverainistes, mais je ne veux pas non plus frapper trop fort. Alors heureusement, dans mon parti, il y a Yves P. Pelletier, qui représente le cliché nationaliste, barbu et revendicateur avec des pancartes. Il s’occupe de caricaturer le souverainiste utopiste, pendant que moi je gueule contre le fédéral."

Mêmes petites angoisses chez Pierre Brassard, chef du parti gauchiste. "Nécessairement, avant d’endosser le personnage, il m’a fallu réfléchir à ma propre position. Je ne fais pas de caricature du NPD, mais je m’en inspire. J’ai une fibre écologique, je suis un pacifiste, je vais flirter avec ça sans m’empêcher d’intervenir sur d’autres sujets. Et la gauche, c’est gentil à première vue, mais il y a des zones d’ombre intéressantes à explorer." Il pourra même les explorer à fond car Jack Layton lui-même l’a invité à passer une journée avec lui. "Je trouve ça délicat, et en même temps ça n’a rien à voir parce que l’idée des Parlementeries, ce n’est pas d’imiter les vrais politiciens. Mais je vais y aller pour ma culture personnelle." Pourquoi pas?

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LE VRAI CHEF

Derrière l’idée de parlementer à la manière canadienne cette année, il y a entre autres un homme nommé Jean-Pierre Plante. Travailleur de l’ombre qui a écrit de nombreux textes pour différents humoristes, en plus de concevoir des spectacles et des émissions de télé, il agit à titre de directeur artistique et éditeur de script des Parlementeries.

"Le fait d’aller vers Ottawa nous ouvre de nouvelles perspectives. En politique québécoise, les grands dossiers, ce sont toujours la question nationale, l’éducation et la santé. Au fédéral, il y a les affaires étrangères et plein d’autres sujets qu’on peut aborder. On va toucher à la culture, à l’environnement, à la droite religieuse, au créationnisme, à la justice, à l’unité nationale, et à plein de sujets connexes comme la grippe H1N1. C’est mon travail d’envoyer les humoristes sur des pistes différentes, mais il y a des sujets, comme la culture par exemple, qui vont revenir souvent parce que plusieurs avaient des choses à dire."

Son grand souci, c’est aussi de varier la forme et de rester toujours collé à l’actualité. Il a réuni une distribution hétéroclite pour respecter cette idée de variété. "Chacun travaille à sa manière, ils sont fidèles à ce qu’ils ont toujours fait, mais je me suis arrangé pour avoir des gens qui vont nous emmener un peu partout dans le spectre de l’humour." Autour de Patrick Huard, premier ministre, se retrouveront aussi, en plus de tous ceux déjà mentionnés, Martin Matte, Mike Ward, Lise Dion et Serge Grenier.