Ubu roi, par les Têtes Heureuses : Le roi, c'est moi
Scène

Ubu roi, par les Têtes Heureuses : Le roi, c’est moi

Des élections, vous dites? Les Têtes Heureuses s’en sont souvenu. Et ce n’est pas étranger à l’idée de présenter Ubu roi.

À quel moment la démocratie flanche-t-elle? Un peuple ne sait jamais quand un dirigeant se retournera contre lui, et s’il dort déjà, le réveil peut être brutal.

Quand il est bien assis sur son trône, le sceptre d’une main et une arme de l’autre, même un petit roi peut faire des ravages. C’est ainsi que le feu se met à hurler, que le sang coule dans les rues et ruelles, même dans les villes naguère calmes et pacifiques.

La démocratie ne tient qu’à un fil. Il suffit qu’un dirigeant coupe le lien qui l’attache au peuple pour que le chaos s’installe. C’est de ce constat dont la nouvelle production des Têtes Heureuses témoignera avec force. Un engagement semblable à celui qu’on avait déjà noté lors de la production de Guerre (Lars Norèn) en 2007: parler de la violence, la théâtraliser, pour rappeler qu’elle est là, qu’elle guette.

Cette fois, c’est le célèbre texte d’Alfred Jarry, Ubu roi, qui servira ce propos. Créée à la fin du 19e siècle, la pièce met en scène un Père Ubu mégalomane et arrogant dont l’objectif premier – la première priorité, pour calquer le pléonasme largement répandu chez nos élus – se résume à acquérir toujours une plus grande richesse, peu importe les moyens nécessaires pour y arriver. Encouragé par une épouse manipulatrice, le tyrannique Père Ubu se mettra riche, peu importe le prix. "C’est un roi terrible, ambitieux, cruel, imbécile et capricieux", décrit Rodrigue Villeneuve, directeur artistique des Têtes Heureuses. "Il mérite les pires qualificatifs qu’on peut attribuer à nos dirigeants politiques."

Villeneuve se permet même d’investir cette dernière production d’une volonté justement politique, avouant que le choix de monter Ubu roi juste à temps pour l’élection municipale n’est pas une coïncidence: "C’est nécessaire pour nous de faire réfléchir à notre situation sociopolitique. C’est encore essentiel d’entendre cette pièce. Parce que des Ubu, l’histoire en a vu naître de nombreux. C’est le cas au niveau international, au niveau national, mais aussi plus près de nous, dans une ville où un maire peut être élu sans opposition."

Pour celui qui agit aussi comme metteur en scène, cette réflexion est appelée par le texte: "Jarry, sans le savoir, mettait au monde en 1896 le modèle le plus répandu du pouvoir au 20e siècle. Ubu, c’est bien sûr Staline, Hitler, Mao, Ceausescu et sa Pologne imaginaire, le Rwanda ou le Cambodge. Mais plus contemporain, c’est un président Poutine, plus modeste, un premier ministre Tim Horton, plus proche, un maire sans opposition."

Cet écho historique trouvera aussi sa représentation dans la mise en scène de Villeneuve. En effet, des projections vidéographiques, redevables à Guillaume Langlois, devraient rappeler aux spectateurs les horreurs dont l’humanité est capable. Cette intégration d’images de l’actualité confrontera le dialogue de la pièce pour lui donner un sens nouveau. "L’objectif est de faire en sorte que l’indécence du réel nous questionne", explique Villeneuve.

Pour Christian Ouellet, vedette de cette pièce – il se met dans la peau du Père Ubu, un personnage à mille lieues de lui -, la portée politique de cette production ne doit pourtant pas occulter tout le reste. "Nous avons voulu montrer que ce roi est un voyou, comme il y en a beaucoup. Il incarne l’égoïsme. Un égoïsme extrême." Une caractéristique qui n’est pas l’apanage uniquement de nos dirigeants, selon Ouellet: "Ce qui me motive à jouer ce rôle, c’est surtout l’idée qu’Ubu, c’est nous, c’est moi aussi. Mais Ubu, c’est également une façon de voir le monde. Mon personnage n’a que des intérêts d’ordre matériel. Tout ce qui compte pour lui, c’est d’être plus riche, d’avoir plus d’argent pour manger plus, et pour baiser plus."

En plus de Christian Ouellet, la distribution, exclusivement masculine – la compagnie assume totalement la théâtralité de son travail -, rassemblera entre autres Martin Giguère (Mère Ubu), Patrice Leblanc, Éric Renald, Marc-André Perrier et Guillaume Ouellet. À ceux-ci s’ajoute un choeur de cinq étudiants de l’UQAC. Cette proximité avec l’UQAC est une situation qui égratigne la compagnie de théâtre, au point où, l’année dernière, elle voyait sa subvention du CALQ retranchée du quart. "On en paie le prix. Difficile de justifier qu’à l’intérieur d’une production professionnelle on fasse travailler des étudiants. En théâtre, au Québec, on est un cas exceptionnel. Ailleurs, ça n’existe pas!" assume le directeur artistique.

Dans cette pièce construite avec de très courtes scènes, la présence de ce choeur de jeunes devrait contribuer pour beaucoup au rythme soutenu du spectacle. Avec le ton de la pièce et la force du personnage de ce roi incarné par Christian Ouellet, le tout pimenté d’armes de poing et de combats meurtriers, la production promet d’intéresser jusqu’aux amateurs de films d’action…

En attendant la première, les gens d’ici se demandent toujours s’ils iront voter aux élections municipales. Et là-bas, dans la poussière des rues de Bagdad, sèche encore le sang d’une centaine d’infidèles.

Parce que quelqu’un, quelque part, en a pris la décision.

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