Évelyne de la Chenelière : Déracinement créatif
Évelyne de la Chenelière a écrit Bashir Lazhar en 2000, avant que l’immigration et le monde arabo-musulman ne deviennent des sujets d’actualité. Intuition artistique.
Bashir Lazhar d’Évelyne de la Chenelière raconte le parcours à obstacles d’un immigrant algérien qui tente d’obtenir le statut de réfugié politique pour sauver sa famille et qui se retrouve, du jour au lendemain, à la tête d’une classe de sixième année. "J’avais envie, presque dans un esprit de recherche, de vérifier comment on peut écrire en partant d’un sujet ou d’un personnage qui est loin de sa propre expérience. Pour moi, l’écriture est un exercice de compassion et d’imagination. Je voulais voir s’il y avait une véritable intimité qui surgissait, même si on ne parlait pas de son propre vécu", se souvient l’auteure.
Après une recherche approfondie, elle a donc créé Bashir Lazhar. "Il s’agit d’un homme d’idées. En cela, il jure un peu avec nos héros occidentaux, et même avec nos valeurs actuelles de société, parce qu’on est plus dans un monde d’émotions, de "ressentis", d’opinions, observe-t-elle. Ce n’est pas un de ces professeurs-héros qu’on trouve dans certains films américains et qui ont déjà pris beaucoup de place dans l’univers fictionnel. Il y a quelque chose de plus complexe, de moins parfait dans sa relation avec les élèves, mais de plus près de la vie, aussi."
La spécificité du texte réside en grande partie dans le fait que le personnage s’adresse directement aux spectateurs, comme si le théâtre devenait une salle de classe. "Même s’il n’y a qu’une seule voix, ce n’est pas un monologue, mais plutôt un dialogue dont on voit seulement un champ. Chaque fois que Bashir prend la parole, il réagit à des éléments qu’on doit imaginer. Il est constamment observé, regardé comme un étranger par les autres." À ce propos, elle trouve très intéressant le jeu de caméra dont le metteur en scène Daniel Brière s’est servi afin d’évoquer cette idée.
Elle apprécie aussi la pertinence de sa vision. "J’ai vu plusieurs mises en scène et celle-là, à mes yeux, est la plus juste. À l’image du personnage, qui nous fait voyager avec lui par la pensée, les souvenirs qu’il évoque, Daniel nous fait quitter la classe. Avec beaucoup d’économie, il a su créer des images très poétiques." Quant au comédien Denis Gravereaux, il a eu la chance de s’approprier ce rôle sur une longue période. "Il en a vraiment fait une seconde peau", note l’auteure.
Enfin, la réponse à son interrogation de départ est venue de l’assentiment de la communauté algérienne qui, avec les enseignants, les autres immigrants et le public en général, a bien reçu le spectacle. "Ça m’a confirmé que si on est rigoureux et qu’on fait un exercice profond, l’écriture peut nous mener très loin. Pour moi, ça donne tout son sens et toute sa beauté au métier d’écrivain", conclut-elle, particulièrement heureuse que, après avoir été diffusé à Montréal et ailleurs dans le monde, son travail soit enfin présenté à Québec.