Pier Dufour : Regard sur soi
Kobol Marionnettes se lance dans une nouvelle création, Lui, un premier spectacle solo pour Pier Dufour, d’après une idée originale de Marc-Antoine Cyr.
Le solo fait un peu peur à Pier Dufour. Il ne cache pas ses angoisses. Car ce spectacle, il faut le dire, le met en scène et ne parle que de lui. De son rapport avec la vie et la mort, de sa maladie dégénérative, du regard de plus en plus curieux que les gens portent sur son corps recroquevillé (il est atteint de spondylarthrite ankylosante, une maladie inflammatoire de la colonne vertébrale).
Si l’humour et le recul permis par le théâtre d’objets lui assurent d’éviter d’en faire une thérapie publique, il ne cache pas qu’il veut exorciser son mal. "Il y a trois ans, se souvient-il, on a fait un show sur mes problèmes d’insomnie. Et après la première, j’ai arrêté d’en souffrir. Alors je me dis que peut-être ce spectacle aura les mêmes vertus thérapeutiques. Ça va en tout cas me permettre d’exorciser tout ça, et puis de montrer que la vie triomphe quand même de la maladie."
Il n’y aurait jamais pensé seul. N’aurait jamais osé. C’est grâce à Marc-Antoine Cyr, jeune auteur dont Reynald Robinson montait Je voudrais crever la saison dernière, que Dufour s’est lancé. Un jour, ils discutaient dans un café, et la conversation a inspiré à Cyr une idée de spectacle et un court texte. "Il n’y a pas de texte figé, précise Dufour. Marc-Antoine nous a écrit des répliques, mais nous a aussi envoyé un dossier portant sur sa recherche par rapport à lui, à l’autre, au moi et au surmoi, une recherche qu’il a faite pour parler de l’âme humaine. Ce dossier-là nous a beaucoup servi, on a utilisé les thèmes lancés par Marc-Antoine pour faire des impros et bâtir le spectacle."
Marcelle Hudon, metteure en scène du spectacle, poursuit: "Les thèmes proposés sont très proches de la vie de Pier: la chute, le déséquilibre, la perte de contrôle, le fait de vivre avec une douleur intense. L’idée de perte d’équilibre est vraiment fondamentale; on se demande comment son rapport à un rituel quotidien est changé dans une période d’ébranlement. C’est vraiment Pier s’interrogeant sur lui-même, se demandant comment ses rites quotidiens personnels sont modifiés, comment évolue son rapport avec sa colonne vertébrale."
Fidèle à leurs habitudes, Hudon et Dufour veulent proposer un spectacle imagé, intemporel et atmosphérique. Le propos est intime, mais pas impudique, et la musique, comme toujours, est primordiale. "La musique est un personnage, explique Dufour. Elle cerne l’univers, finalise l’émotion, indique la tendresse et l’humour, ouvre la voie de la réception du spectateur. Elle est clairement mon partenaire de jeu."
À cela s’ajoutent les marionnettes, cette fois une petite colonne vertébrale à tringles avec laquelle Dufour interagit, ainsi qu’une réplique de lui-même en miniature et plusieurs objets qu’il fera vivre à sa manière. "On travaille beaucoup plus l’objet que d’habitude. L’idée, c’est aussi de voir comment les objets agissent sur moi. Un objet, comme une marionnette, ça impose un type de manipulation ou un répertoire de mouvements dont le manipulateur n’a pas toujours le total contrôle."