Thomas Ostermeier : Prison de verre
Scène

Thomas Ostermeier : Prison de verre

Invité par Wajdi Mouawad, l’incontournable metteur en scène allemand Thomas Ostermeier nous fait la joie d’une rare visite dans nos contrées nordiques avec sa relecture d’Hedda Gabler d’Henrik Ibsen. Entrevue.

Phénomène du théâtre contemporain, Thomas Ostermeier se fait rare de ce côté-ci de l’Atlantique. On aura droit à l’une de ses percutantes relectures d’un texte de répertoire, une pratique à laquelle il ne s’adonne plus que rarement, préférant de loin les auteurs contemporains comme Lars Norén, Sarah Kane ou Mark Ravenhill. Mais ceux qui ont vu ses versions de Woyzeck ou d’Hamlet au festival d’Avignon en 2004 et en 2008 se souviennent de la pertinence et de la grande contemporanéité de ses mises en scène.

Si chaque mise en scène d’Ostermeier est différente et ne se réclame d’aucune esthétique particulière, on y remarque des constantes. Dans un espace dépouillé, minimaliste, mais toujours décoré d’éléments réalistes et baigné de musique pop, ses acteurs sont implacables de vérité. On a dit de lui qu’il réinventait le réalisme, mais plus encore qu’il mettait à l’oeuvre une sorte de "théâtre sociologique", toujours ancré dans un milieu social précis pour réclamer des changements de société.

Au premier rang des "milieux sociaux" qu’il aime explorer se trouve la "nouvelle bourgeoisie allemande". C’est là qu’il situe Hedda Gabler, personnage principal de la pièce éponyme du dramaturge norvégien Henrik Ibsen (Maison de poupée). Cette femme, qui a marié le mauvais homme, s’ennuie profondément dans sa superbe maison et regrette de ne pas avoir épousé l’homme qu’elle aimait, un artiste sans le sou devant qui les portes du succès et de la richesse semblent aujourd’hui grandes ouvertes. La nouvelle bourgeoisie, c’est la génération d’Ostermeier lui-même.

"C’est une génération riche et éduquée qui, contrairement à la génération des années 70, a une vision de la vie très conservatrice et traditionnelle. En rupture avec l’affranchissement et l’émancipation de la génération précédente, la femme allemande d’aujourd’hui revient aux valeurs du siècle passé, quand la famille et le statut de femme au foyer étaient les véritables gages de bonheur. On est dans cette situation: les grandes idéologies ont disparu, la religion aussi. Il ne reste rien d’autre à quoi s’accrocher."

Il ne faut pourtant pas croire qu’Hedda Gabler est une pauvre victime de son rang social. Ce qui la rend complexe et dramatiquement riche, c’est le fait qu’elle est totalement responsable de son sort. "Hedda sait qu’elle a manqué de courage. Elle est très intelligente, très lucide et, en même temps, elle ne peut pas se sortir de sa prison. Elle lutte contre la médiocrité tout en désirant y rester."

Si Ostermeier parle de prison, ce n’est pas innocent: l’idée d’enfermement a guidé la conception du décor. "L’espace est très chic, très froid, très moderne, avec beaucoup de verre, une architecture très à la mode. Hedda ne supporte pas ce lieu, parce qu’elle s’y sent surveillée. Ce décor, ce n’est pas une maison, c’est plutôt un laboratoire. Le sentiment d’être surveillée est accentué par la présence d’un grand miroir au-dessus de la scène dans lequel on peut voir les jeux de coulisses. Un espace étouffant dans lequel la vie privée n’existe pas."

À voir si vous aimez / Hamlet et Woyzeck de Thomas Ostermeier, le théâtre norvégien et les pièces d’Henrik Ibsen, Madame Bovary de Flaubert