Claude Laroche : La dérive des incontinents
Le Théâtre du Rideau Vert porte à la scène Il n’y a plus rien, de Robert Gravel. L’univers hospitalier, la force de la langue et une structure laissant place à l’improvisation semblent aller comme un gant au metteur en scène Claude Laroche.
Le comédien et metteur en scène Claude Laroche n’était pas un ami proche de Robert Gravel, mais il l’a beaucoup côtoyé sur la patinoire de la Ligue nationale d’improvisation, que Gravel avait cofondée, et dans quelques productions du Nouveau Théâtre Expérimental, dont le mythique Vie et Mort du roi boiteux au début des années 80. "On était finissants de nos écoles de théâtre respectives la même année. Moi, je me suis tout de suite engagé dans l’aventure du Grand Cirque Ordinaire, et lui, il a fait ses débuts chez les jeunes comédiens du TNM. Déjà à cette époque, on se croisait tout le temps."
Recréer, presque 20 ans plus tard, une pièce de Gravel, "ça ne se refuse tout simplement pas", dit Laroche. "Ce qui est important, pour moi comme pour les initiateurs de ce projet, des amis de Robert comme le comédien Jacques L’Heureux et le scénographe Jean Bard, c’est d’inscrire son oeuvre dans le répertoire. Outre l’hommage qu’on lui rend, l’intention est d’affirmer la pertinence de l’oeuvre écrite de Robert. On l’associe, avec raison, à l’expérimentation et à l’improvisation, mais on oublie trop souvent la qualité de sa dramaturgie. Monter l’une de ses pièces dans un théâtre institutionnel, c’est affirmer cela haut et fort. Sa vision à la fois tendre et cynique du monde, la liberté laissée à l’acteur dans le texte, l’élasticité de l’action et du temps: personne d’autre n’a écrit comme ça au Québec, même si ces pratiques-là sont très répandues sur nos scènes."
Dans Il n’y a plus rien, on retrouve le goût de Gravel (et Ronfard) pour l’improvisation, le mélange des genres, l’appel à la fête, à la multiplication des formes et à l’invention. Le texte propose des dialogues très précis, toujours suivis de didascalies ouvertes qui invitent à l’improvisation, comme des canevas de commedia dell’arte. "Ce sont de véritables lazzis, explique Laroche. Comme en impro, il ne faut pas tomber dans le piège du cabotinage, même s’il y a parfois de très forts appels au burlesque. Mais le vrai défi, c’est de prendre à bras-le-corps cette liberté offerte par le texte tout en en respectant l’essence, la trame, le propos."
Car propos il y a. À première vue, on ne pourrait y voir qu’une succession de scènes comiques dans un hôpital pour vieillards, avec toutes les possibilités de rires gras et de blagues scatologiques que cela suppose. Mais Gravel avait le souci d’aborder la thématique de la vieillesse, de la solitude, de la mort et même de l’agonie. "Le théâtre est souvent le lieu où l’on peut encore parler franchement de la mort, ce sujet tabou. Je trouve que dans un contexte où l’on discute de plus en plus de la légalisation de l’euthanasie, c’est très pertinent. Ça m’interpelle parce que la société est vieillissante, et moi aussi. Je n’y échappe pas."
Peut-être. Mais ainsi entouré de 14 comédiens de toutes les générations, pas de danger qu’il se complaise dans l’oisiveté et la solitude comme les pauvres vieillards fatigués imaginés par Gravel.