Evelyne de la Chenelière et Violette Chauveau : La vie est un roman
Scène

Evelyne de la Chenelière et Violette Chauveau : La vie est un roman

Après une résidence d’écriture de plus de deux ans au TNM, le nouveau texte d’Evelyne de la Chenelière, L’Imposture, prendra vie sous le regard de la metteure en scène Alice Ronfard. L’auteure et la comédienne qui tient le rôle principal, Violette Chauveau, nous parlent de cet accouchement lumineux.

Elles sont de bonnes amies, Evelyne de la Chenelière et Violette Chauveau. Ça se voit à la manière dont elles se regardent et s’écoutent l’une l’autre, avec respect et affection. Des femmes de tête. Comme Ève, le personnage central de L’Imposture, qui n’est rien de moins que l’alter ego de l’auteure, ou plutôt son reflet déformé, grossi et théâtralisé.

"Je n’étais pas obsédée par l’idée de me raconter, précise de la Chenelière, mais ce personnage-là est bel et bien un autre moi-même, plus grand que nature. Je voulais faire naître une héroïne contemporaine, que je n’ai jamais vue au théâtre. Ève est une femme pensante, mais elle cherche l’équilibre. Elle a des névroses, mais elle essaie de vivre aussi pour les autres. Elle fait parfois mal à son entourage, mais elle ne l’abandonne jamais."

"Un rôle complexe et riche, confirme Chauveau. Il me rapproche d’Evelyne, c’est inévitable. Je ne me suis pas dit que j’allais jouer comme elle, mais cette parole-là est tellement puissante, tellement personnelle que je me rends compte que si je m’imprègne complètement de ses mots, des attitudes d’Evelyne ressortent malgré moi. Ça va parfois jusqu’à la musicalité des phrases."

De la littérature au théâtre

C’est la 17e pièce d’Evelyne de la Chenelière, qui s’est rapidement imposée comme l’une de nos auteurs les plus joués, les plus traduits et les plus reconnus ici comme ailleurs. Elle est comédienne à l’occasion, et se lance le plus souvent possible dans les aventures de création de ses amis du Nouveau Théâtre Expérimental, mais l’écriture demeure le coeur de son activité. Elle avait envie d’en parler.

"Rapidement, s’est imposé ce fil qu’est l’écriture d’un roman. C’est délicat, parce que pour porter à la scène l’acte d’écrire ou même les traces d’une littérature, il fallait que ce soit ancré dans une trame dramaturgique assez puissante. D’où l’idée de faire se chevaucher trois lignes de temps, celles d’une auteure s’inscrivant dans un réseau d’amis, dans sa famille, et plus intimement dans l’écriture. Je voulais créer des espaces pour toutes les paroles que j’avais envie de voir s’exprimer."

Entre les pages du roman qu’elle vient d’écrire sans pouvoir en être la narratrice, les souvenirs d’un déchirant repas entre amis et les bouleversements de la vie parentale, Ève est pour ainsi dire écartelée. Ou plutôt, elle est au centre de différentes trames narratives, toutes interreliées, volontairement entremêlées et parfois brouillées, comme le sont toujours nos rapports entre la fiction et la réalité.

Regard sur soi et sur le monde

Ève vit un sentiment d’imposture généralisé. "Elle se sent imposteure d’être une femme et de pourtant écrire, comme elle se sent imposteure dans son rôle de mère, de conjointe, d’amie. Elle ne se sent jamais à la hauteur ou à sa place." À travers cet état et la nécessaire introspection qui en découle, se meuvent des questionnements d’une grande pertinence, qui ne manqueront pas de résonner dans l’espace public. De la Chenelière dit ne pas avoir voulu aborder d’un seul coup toutes les questions qui la tiraillent, mais son texte foisonne de prises de parole et d’opportunités de réfléchir. "C’est une écriture pleine de contrastes, dira Chauveau. C’est très riche. Il y a tellement de couches, c’est tellement vivant, tellement incarné, il y a tellement d’équilibre entre l’abstrait et le concret dans ce texte, c’est rare."

Si l’auteure y réaffirme ses idées sur le complexe culturel québécois et cette manie de porter aux nues n’importe quel artiste par manque de rigueur intellectuelle, elle s’intéresse aussi à la question de la dictature de l’image médiatique, à la parentalité, l’amitié, la féminité, et la place de l’auteur féminin dans notre société.

"Ève fait affirmer à son narrateur que les hommes écrivent mieux. Le pense-t-elle vraiment? Elle veut en tout cas réfléchir à cette question-là. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si, comme femme, notre écriture est inconsciemment dirigée par l’appartenance à un sexe. Se donne-t-on un rôle particulier à travers l’écriture quand on est une femme? À quel point est-on libre intellectuellement quand on prend parole?"

Ces questions et bien d’autres seront lancées par le spectacle que prépare Alice Ronfard avec Francis Ducharme, David Boutin, Sophie Cadieux, Jacinthe Laguë, Hubert Proulx, Yves Soutière et Erwin Weche. Pour aller plus loin, Voir vous propose de venir en discuter sur un blogue spécial que j’alimenterai de réflexions et de citations éclairantes pendant toute la durée des représentations. C’est un rendez-vous au www.voir.ca/tnm.

Suivez le blogue de Philippe Couture sur L’Imposture au www.voir.ca/tnm.