Hedda Gabler : Mensonges et trahisons
Scène

Hedda Gabler : Mensonges et trahisons

Sous la houlette de Thomas Ostermeier, de passage dans la capitale nationale avec la troupe de la Schaubühne de Berlin, Hedda Gabler est plus contemporaine que jamais.

Après le Polonais Krzysztof Warlikowski, c’est au tour de l’Allemand Thomas Ostermeier d’être accueilli par Wajdi Mouawad et l’équipe du Théâtre français du Centre national des Arts. Rappelons que le metteur en scène né en 1968, à la tête de la Schaubühne de Berlin depuis une décennie, avait présenté Homme pour homme, de Brecht, au Carrefour international de théâtre en 2002. Cette fois, le créateur offre, en exclusivité canadienne, sa percutante relecture d’Hedda Gabler, le fameux drame d’Ibsen, un spectacle qui, depuis sa création en 2005, a fait le tour du monde.

Le destin d’Hedda est à la fois banal et tragique. Habitée par des démons qui pourraient très bien être les nôtres, mais qui prennent dans son cas des proportions inquiétantes, la jeune femme est d’une complexité éminemment théâtrale. Plein de paradoxes, suscitant le dégoût et la pitié, le personnage endossé ici avec maestria par Katharina Schüttler n’est pas près de cesser de fasciner les metteurs en scène.

Plutôt que le ténébreux Lovborg, Hedda a marié Tesman, un homme gris mais qui devait lui offrir un train de vie fastueux. Puis, la situation se renverse – ce sera plusieurs fois le cas durant cette journée infernale -, les livres de Lovborg ont du succès et Tesman n’est plus du tout certain d’arriver à décrocher le poste de professeur qu’on lui a fait miroiter. Gagnée par l’ennui et la déception, Hedda se lance alors dans un jeu de pouvoir machiavélique, une machination digne des meilleurs feuilletons télé, une quête obsessionnelle qui se retournera bien évidemment contre elle.

Le dispositif scénographique de Jan Pappelbaum est une ingénieuse représentation de la demeure que Tesman a offerte à Hedda en cadeau de mariage, un lieu hautement symbolique qui cristallise la désillusion de la "maîtresse de maison". Dans ce salon pivotant, impeccable prison de verre surplombée de miroirs, il est quasi impossible de se dérober au regard de l’autre. Relié très habilement au monde extérieur par des projections vidéo, l’espace dévoile méthodiquement tous les aspects du drame, on serait presque tenté de dire qu’il les expose.

Notre mode de vie capitaliste présente indubitablement quelques ressemblances avec celui des protagonistes de cet impitoyable portrait de la bourgeoisie scandinave du 19e siècle, des correspondances que le metteur en scène n’a pas eu peur de révéler. Pour arriver à ses fins, Ostermeier a choisi de transposer l’action à notre époque, ce qui lui permet d’introduire quelques ordinateurs portables ici et là, mais surtout de donner à ses acteurs un corps et une voix aux ancrages tout à fait contemporains.

Les personnages d’Ibsen prennent alors des airs étonnamment tchékhoviens. Dépouillée des oripeaux d’un certain classicisme, leur vie à la fois banale et terrible, parce que toute tracée, prévisible, étriquée, contraignante, se déploie de manière bouleversante. Ce parti pris pour l’intériorité laisse la tragédie couver, puis survenir, implacable, à point nommé. La scène finale est un coup au coeur.

Jusqu’au 14 novembre
Au Théâtre du CNA

Les frais du voyage à Ottawa ont été payés par le Goethe-Institut.