Catherine Gaudet et Jacques Poulin-Denis : Histoires de vie
La série Être(s) humain(s) se poursuit à Tangente avec Cible de Dieu de Jacques Poulin-Denis puis avec L’Invasion du vide de Catherine Gaudet. Deux créateurs prometteurs qui mettent la vulnérabilité à l’honneur.
Artiste multidisciplinaire, Jacques Poulin-Denis s’est illustré de diverses façons dans des contextes souvent atypiques, mais c’est la première fois qu’il présente une soirée complète de son cru dans un lieu traditionnel. Du 19 au 22 novembre, il occupe la scène de Tangente avec deux propositions très différentes. Le plat de résistance est Cible de Dieu, une oeuvre baroque très théâtrale mettant en scène avec humour la déroute d’un équilibriste qui voit son monde s’écrouler.
"C’est un peu autobiographique, le personnage porte mon nom, mais j’ai l’impression de jouer", déclare celui qui, à 20 ans, a vu sa carrière de danseur compromise par un accident dans lequel il a perdu une jambe. "C’est un peu épeurant d’exposer mon intimité mais ce n’est pas si difficile. En fait, plus c’est intime, plus je me sens en puissance; parce que c’est moi qui choisis ce que je dis."
En première partie, il livre un extrait de Practices, un trio féminin tiré d’un spectacle créé en Corée. Beaucoup plus chorégraphiée, cette pièce donne une autre perspective de son potentiel artistique. "Quand je crée seul, je peux rester longtemps couché sur le plancher à réfléchir, je travaille sur le ressenti intérieur et la pièce s’élabore beaucoup en dehors du studio, dit-il. Tandis que quand je dirige, on n’arrête pas et tout est entièrement bâti sur ce que je vois. J’aime inventer un vocabulaire, une énergie, une façon de bouger, et laisser ensuite l’artiste libre de s’en servir comme il veut dans un espace structuré avec des parcours donnés."
Les trois interprètes de Catherine Gaudet ont eux aussi une grande liberté d’interprétation dans la mesure où la chorégraphe développe un travail d’état plus qu’une gestuelle très écrite. Et l’état mis en oeuvre dans L’Invasion du vide, présenté du 26 au 29 novembre, c’est celui de l’insoutenable incomplétude de l’être qui manque totalement de confiance en sa propre valeur. Insécurité, impuissance et émotions à fleur de peau sont au programme.
"On montre quelles situations relationnelles ce manque peut créer concrètement, explique-t-elle. Parfois, ces êtres deviennent paranoïaques. Ils essaient de convaincre l’autre qu’ils sont suffisamment bons, mais ils le font avec une telle maladresse que ça en devient pathétique. Ou encore, ils essaient de donner au public ce qu’ils imaginent qu’il attend d’eux…" Les scènes de la vie quotidienne que Gaudet met habituellement en scène révèlent les failles de l’âme humaine avec une justesse qui ébranle. Impossible de rester indifférent à son travail. Et si le rire est toujours au rendez-vous, on est loin du divertissement.
"Je ne cherche jamais à faire de l’humour, note la chorégraphe de la névrose. Il est encore présent, mais le volume est plus bas que dans mes autres pièces et je pense qu’il survient du pathétique. Parce que ce que j’ai mis en scène est tragique, dramatique, mais les personnages sont tellement angoissés et pathétiques que ça en devient risible." Mais l’on rit jaune. Et qu’on n’attende pas de happy end. On ne se débarrasse pas si facilement des grands malaises existentiels.
Erratum
Dans "Les oubliés de la santé", un article paru dans nos pages le 5 novembre dernier sous la plume de Fabienne Cabado, une rencontre avec Dulcinée Langfelder et Chloé Sainte-Marie à propos du spectacle de danse Victoria et de la Semaine des proches aidants, nous avons omis de mentionner que la production, qui a fait le tour du monde, avait été créée d’après une idée originale et des textes de Charles Fariala. Atteint de sclérose en plaques, l’auteur s’est suicidé le 26 septembre 2004 à l’âge de 36 ans pour abréger ses souffrances. Nous nous excusons de cet oubli auprès de sa famille et de ses proches.