Francis Cantin : La mort dans l’âme
Dans une optique anthropologique et rituelle, le jeune metteur en scène Francis Cantin veut rapprocher Le roi se meurt, célèbre pièce d’Eugène Ionesco, de ses racines bouddhistes. Entrevue.
Si Francis Cantin, des Productions Empremier, s’intéresse à Ionesco, ce n’est pas pour la mécanique du langage, le rythme ou les procédés de théâtre absurde qui ont fait sa renommée. Très peu pour lui. Il a plutôt choisi d’entrer à vif dans les questionnements métaphysiques parsemant son oeuvre, au sujet de la mort.
"Parler de la mort, c’est aussi parler de notre rapport à la vie. Il faut donc faire de la mort un sujet de conversation, ramener la thématique de la mort pour qu’elle éclaire tout le reste: les valeurs, la culture, les idéologies. Notre soif de sens passe nécessairement par une réflexion sur la mort. Le théâtre, à cause de ses origines rituelles, est l’endroit de prédilection pour en parler."
Sur la scène du Théâtre Prospero, cette réflexion-là prendra le chemin du bouddhisme tibétain. Car en bon anthropologue, une discipline qu’il a étudiée avant de se former en cinéma et en théâtre, Cantin est allé aux sources de la pièce et y a fait des trouvailles intéressantes. Il explique: "Dans une entrevue qu’Ionesco a accordée au Figaro le 24 novembre 1976, on apprend qu’il s’est inspiré principalement du Livre des morts tibétain. Je me suis mis à analyser le texte sous cet angle-là, et j’ai bien vu que la notion d’absurdité chez Ionesco correspond à l’idée de l’impermanence qu’on retrouve dans la philosophie bouddhiste, à savoir que l’être humain s’accroche aux choses tangibles et a peur de l’impermanent, de l’immuable. Cette idée-là est développée du début à la fin de la pièce."
Ainsi commence une aventure à la fois théâtrale et interculturelle pour le metteur en scène et son équipe d’acteurs, les Louis-Philippe Labrèche, Kena Molina, Frédéric Sasseville Painchaud, André Perron, Stéphanie Daviau et Chantal Therrien. "La recherche et l’analyse de la pièce se sont faites parallèlement à une recherche anthropologique sur la culture tibétaine, en collaboration avec la communauté tibétaine montréalaise. Je voulais nous sortir de notre culture, de nos carcans et de nos référents théâtraux québécois afin de comprendre les choses avec un nouveau regard. Il fallait nous fournir un bagage culturel tibétain, dans le but de déjouer les codes de jeu occidentaux qui nous reviennent toujours naturellement. J’ai été heureux de découvrir au sein de la communauté tibétaine montréalaise beaucoup d’artistes formidables qui n’ont malheureusement pas de place pour diffuser et pratiquer leur art, et qui ont beaucoup nourri notre démarche."
Si la mise en scène s’ancre dans les rituels et la culture bouddhistes, Cantin fait aussi le pari de faire mourir le roi au quart de la représentation pour situer le reste de la pièce dans ce qu’il appelle l’"espace intermédiaire". "C’est cet endroit où l’esprit du mourant se retrouve après sa mort physique, lorsqu’il est en route vers la réincarnation et passe par trois niveaux de conscience successifs, dans le but de se sublimer. Si ça marche, la réincarnation est évitée, pour favoriser un état de fusion avec l’univers, d’ouverture totale." Le roi Bérenger y arrivera-t-il? À suivre.