Olivier Coyette : Prise de risque
Scène

Olivier Coyette : Prise de risque

Avec des comédiens de chez lui et de chez nous, le Belge Olivier Coyette met en scène Terrorisme, une pièce des Russes Oleg et Vladimir Presnyakov. Le créateur nous parle de violence et de paranoïa, mais aussi de coproduction et d’échanges culturels.

Entre les deux coproducteurs de Terrorisme, le Théâtre du Grand Jour, une compagnie montréalaise qui fête ses 10 ans d’existence cette année, et le Théâtre de Poche, une compagnie bruxelloise qui a près de 60 ans, les affinités sont nombreuses. "Les compagnies de Sylvain Bélanger et de Roland Mahauden partagent une même orientation, un même regard sur le monde, un même engagement, explique Olivier Coyette, qui travaille régulièrement au Théâtre de Poche. Les deux groupes concilient théâtre, politique, société et actualité."

Metteur en scène, mais aussi comédien et auteur, oeuvrant en Belgique aussi bien qu’en France, Coyette a eu, comme Bélanger, un coup de foudre pour la pièce des frères Presnyakov, un texte créé à Moscou en 2002. À Montréal, puis à Bruxelles en janvier prochain, la pièce sera présentée pour la première fois en langue française, dans une traduction d’Anne-Catherine Lebeau. "La pièce est ancrée dans la Russie contemporaine, explique Coyette, mais elle dépasse les frontières, elle rejoint les préoccupations de tout le monde, celles du village global. En ce sens, le fait qu’on ait sur le plateau un mélange de deux cultures différentes est particulièrement intéressant."

Ainsi, les Québécois Fabien Cloutier, Sharon Ibgui, Jacques Laroche, Monique Miller et Mani Soleymanlou partagent la scène avec les Belges Christian Crahay, Nicole Valberg et Benoît Van Dorslaer. La scénographie est signée par un Français, Fabien Teigné, les éclairages, par un Belge, Xavier Lauwers, la musique et les costumes, par deux perles de chez nous, Larsen Lupin et Romain Fabre. "J’ai fait confiance à Sylvain pour les Québécois, comme il m’a fait confiance pour les Belges, résume Coyette. Et franchement, ça fonctionne vraiment bien! J’adore mon équipe."

Bourreaux et victimes

Après l’Allemagne, la Suède, la Pologne, l’Irlande, l’Australie, le Brésil, Taïwan, Londres et New York, où elle a été présentée off-Broadway, la pièce des frères Presnyakov, un tandem qui a déjà une vingtaine de pièces, romans et scénarios à son actif, arrive enfin chez nous. Composée de six tableaux coup-de-poing, la pièce – écrite avant le 11 septembre – donne à voir et à entendre le terrorisme qui teinte les rapports quotidiens entre les individus, la violence (raciale, sexuelle, psychologique, hiérarchique…) que chacun, dans le monde d’aujourd’hui, peut subir ou faire subir à ses semblables.

On rencontre ainsi un groupe de passagers aériens paralysés par une alerte à la bombe, un couple dont les jeux sexuels prennent une tournure inquiétante, des employés de bureau choqués par le suicide d’une collègue, une vieille dame qui encourage son amie à empoisonner son gendre, des militaires qui ne sont pas sans évoquer ceux de Guantanamo… des personnages qui donnent froid dans le dos, des individus qui nous ressemblent plus qu’on ne le voudrait et dont les destins sont liés.

"Ce qui fait naître ce terrorisme, explique Coyette, ce terrorisme beaucoup plus insidieux que les bombes et les attentats, ce terrorisme qui nous mine alors qu’on ne s’en rend même pas compte, ces pulsions d’agressivité qu’on découvre et qui sont orientées contre nous et contre les autres, c’est ce mode de vie qui nous empêche de prendre du temps, de nous recentrer, de nous mettre à nu… On est tout le temps dans la mise en scène de nous-mêmes, de nos existences. On est prisonniers de ça, engoncés dans des codes et des relations de domination. Il est impératif de retrouver la vérité."

Ce mode de vie capitaliste, routine perverse, conformiste et normative, florissante chez nous et de plus en plus solidement implantée en Russie, crée des bourreaux et des victimes. "La pièce démontre que les rôles sont interchangeables, estime le metteur en scène, que tout le monde, potentiellement, peut être un agresseur. Ça peut arriver n’importe quand, à n’importe qui. Et ceux qui ne sont ni bourreau, ni victime sont les témoins de ça. Donc, personne n’est isolé, tout le monde est concerné. Il y a toujours un risque que tout saute!"

C’est précisément, dans la pièce, cette question du danger inhérent au fait d’exister que le créateur souhaite mettre en relief. "Vivre ne va pas sans risques. On ne peut pas tout le temps se dire qu’une bombe va exploser ou qu’un virus va nous emporter. Plutôt que de céder aux psychoses collectives, il faut prendre le risque de marcher dans la rue, de vivre sa vie et d’attraper la grippe."