Angela Laurier : Art-thérapie
La contorsionniste Angela Laurier investit la scène du Théâtre La Chapelle avec Déversoir. Une oeuvre hybride qui traite de la maladie mentale à travers un poignant documentaire familial.
Toute petite, Angela Laurier avait fait de la gymnastique de manière intensive. À 18 ans, elle choisit de devenir contorsionniste, au moment même où son frère Dominique vit ses premiers internements en hôpital psychiatrique. Il est schizophrène et traverse des épisodes de démence d’une grande violence. Une réalité éprouvante pour tous les membres de cette famille de neuf enfants qui trouveront, pour plusieurs, une échappatoire dans les arts.
"La contorsion était un exutoire pour moi mais c’était aussi une forme d’aliénation, reconnaît celle qui s’est illustrée au Cirque du Soleil jusqu’en 1988. Et puis, j’ai eu besoin de me couper de la famille. J’aurais voulu sortir mon frère des institutions psychiatriques mais j’étais impuissante. J’essayais de comprendre mais j’étais dépassée. Alors j’ai mis un mur entre nous." Un océan, plus exactement.
À 26 ans, Laurier entame une carrière solo en France, pays natal de son père. Elle y crée des oeuvres provocatrices où elle parle de la famille avec beaucoup de dérision. L’éloignement et son entrée dans la trentaine lui donnent le goût et le courage de renouer avec son passé, de confronter son père et de regarder son histoire dans les yeux.
Avec son compagnon, le musicien et vidéaste Manuel Pasdelou, elle revient au Québec et entame un documentaire familial qui s’étendra sur quatre ans. Entre la dépression du père et la schizophrénie du frère, se dégage une chronique touchante de la maladie mentale. Quand elle montre les premières images en France, on lui donne carte blanche pour en faire un spectacle.
"Je ne savais pas comment me positionner devant les images; je n’arrivais pas à mettre de mots sur pourquoi je faisais ça, il fallait que je l’éprouve par le corps, raconte-t-elle. Alors j’ai repris l’entraînement et ça a donné un nouveau sens à mon travail."
Plié, tordu, vrillé, le corps d’Angela craque et râle en écho aux discours de ces hommes qui s’étalent sur un écran géant. Périlleux exercice de démystification de la folie, exutoire d’une souffrance trop longtemps contenue. Sur scène, Dominique Laurier incarne son propre rôle, accompagné de son neveu Timothy Ward-Laurier. Et Pasdelou joue avec les images et les sons préenregistrés ou captés en direct. L’histoire se dénoue à mesure qu’elle se rejoue.
"Au début, tout était plus brut, plus violent, avoue Laurier. Avec le temps, les choses se sont placées, je me suis beaucoup posée. Cette expérience m’a libérée d’un grand mal de vivre et a rapproché tous les membres de la famille. Dominique y trouve aussi une forme d’autonomie. Il aime beaucoup la tournée, le voyage l’aide car c’est plutôt dans le quotidien qu’il a des problèmes. Il est d’un calme incroyable quand il y a des échanges avec le public."
Les choses vont d’ailleurs si bien que la suite de Déversoir est en préparation. Intitulée J’aimerais pouvoir rire (d’une célèbre phrase du père), elle raconte le quotidien actuel de Dominique et sera présentée en première au Théâtre National de Chaillot, à Paris.