Il n’y a plus rien : Condition humaine
Alors que la population vieillit à vue d’oeil, la pièce de Robert Gravel, Il n’y a plus rien, est plus actuelle que jamais, aussi comique mais peut-être plus tragique encore qu’il y a 17 ans.
Dernier volet de La Tragédie de l’Homme, une trilogie complétée par Robert Gravel et le Nouveau Théâtre Expérimental en 1992, Il n’y a plus rien aborde, avec humour, justesse d’observation et pointes tragiques, des sujets difficiles: le vieillissement, la maladie et la mort. Avec cette partition, qui autorise largement l’improvisation, Claude Laroche et ses 14 comédiens ont organisé entre les murs du Rideau Vert une véritable fête, une célébration de la vie… qui reste.
On dit que le vieillissement de la population est un phénomène mondial qui concerne tout particulièrement les pays industrialisés. Selon les prévisions de l’ONU, le nombre de personnes âgées de 60 ans ou plus atteindra 2 milliards en 2050, soit plus du triple de ce qu’il est aujourd’hui. Dans ce contexte, le texte de Gravel est peut-être encore plus pertinent qu’à sa création. Qui, dans une société qui a tendance à occulter tout ce qui a trait au vieillissement et à la mort, ne se demande pas comment il va finir sa vie? Sous quel toit? En compagnie de qui? Dans quel état? Chose certaine, le soir où nous y étions, les spectateurs semblaient particulièrement concernés par le quotidien des habitants et du personnel de l’hôpital pour vieillards dépeint par la pièce.
Il y a l’unijambiste Madame Caron (Claudine Paquette, libidineuse à souhait), Soeur Luc-Gabriel, paralysée jusqu’au cou, Monsieur Lussier (Marc Legault, attendrissant), Monsieur Vendette, cloué à son lit (Jean-Pierre Chartrand, désopilant), Monsieur Zachary, confus et vulgaire, et Madame Vachon, convaincue que son fils viendra la chercher sous peu. Une galerie de personnages hauts en couleur! Autour d’eux, il y a bien deux infirmiers et un homme de ménage, quelques visiteurs plus ou moins égoïstes, mais il reste que ces hommes et ces femmes en fin de vie sont laissés à eux-mêmes, on serait tenté de dire stationnés.
Bien que la caricature soit au rendez-vous, dans le texte comme dans l’interprétation, Laroche a trouvé le bon dosage. On imagine aisément les dérives que certaines scènes auraient pu occasionner. Heureusement, les petits détails de la vie quotidienne en hospice sont si bien restitués que les personnages finissent par s’humaniser. On entrevoit alors toute la gravité qui sous-tend la pièce. Après avoir ri de bon coeur, on goûte à la détresse qui sera un jour la nôtre, celle qui surgit quand on perd peu à peu l’usage de son corps et de sa pensée.