L'Imposture : Roman familial
Scène

L’Imposture : Roman familial

Avec L’Imposture, l’un de ses portraits de société les plus lucides, Evelyne de la Chenelière fait une remarquable entrée au répertoire du Théâtre du Nouveau Monde.

Comme auteure de théâtre, Evelyne de la Chenelière a toujours porté sur son époque et sa société un regard perçant. Dans la quinzaine de pièces qu’elle nous a données depuis la fin des années 90, on trouve un sens de l’observation particulièrement juste, mais aussi une dérision, un humour délectable, si rafraîchissant qu’il permet de faire avaler les pires constats sur notre mode de vie. C’est encore plus vrai pour L’Imposture, son plus récent texte, mis en scène par Alice Ronfard après Désordre public et Les Pieds des anges.

Tel qu’il est écrit sur la quatrième de couverture de la pièce qui vient de paraître chez Leméac, de la Chenelière n’a pas son pareil pour remettre "sans cesse en question les impostures sur lesquelles nous fondons nos existences". Un peu comme Le Plan américain, un texte créé par le NTE en 2008, L’Imposture met en scène une famille pour le moins dysfonctionnelle, des parents et des enfants troublés. Seulement, cette famille n’appartient peut-être pas, du moins pas tout le temps, à ce qu’on appelle la réalité.

Au centre, il y a Ève (Violette Chauveau), véritable pivot autour duquel tournent des esprits vivaces, mais tout de même pas assez pour lui faire de l’ombre. Elle est la mère torturée de Léo (Francis Ducharme) et Justine (Sophie Cadieux), la conjointe insondable de Bruno (Yves Soutière), la précieuse amie d’Élise (Jacinthe Laguë), Sébastien (Hubert Proulx) et Frédéric (David Boutin). Écrivaine et mère de famille, Ève est une femme plus grande que nature, un vrai personnage de roman qui permet à Evelyne de la Chenelière d’aborder tant de sujets à la fois, et avec une finesse peu commune.

La représentation relie des parcelles de quotidien, des instants de vie qui sont pour ainsi dire transcendés par une mise en scène fluide et évocatrice. Des moments de grâce, proprement chorégraphiques, injectent de la poésie dans les moindres interstices. On passe d’une époque à une autre, appréciant la narration du fils aussi bien que les scènes de repas, les déboires de la jeune soeur tout autant que les séquences de l’émission de télévision à la mode. On savoure aussi les coups de gueule, notamment envers les médias, la création, la maternité, la féminitude et le milieu littéraire. Mais plus que tout, on se laisse impressionner par la mise en abyme des plus adroites sur laquelle la pièce est fondée.

On sait bien que la littérature offre une vision hypertrophiée du réel, qu’elle enjolive ou obscurcit, mais le spectacle cristallise magnifiquement cette idée, démontre que la frontière entre la fiction et la réalité est extrêmement ténue, si bien que dans notre monde, un mensonge peut devenir, en un fragment de seconde, une vérité inéluctable.

À voir si vous aimez /
Journal de la création et Une adoration de Nancy Huston, les romans de Nelly Arcan, le film J’ai tué ma mère de Xavier Dolan

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