Cyrano Tag : Contre toute apparence
Scène

Cyrano Tag : Contre toute apparence

Avec Cyrano Tag, la compagnie Vox Théâtre revisite un classique de la littérature française en lui joignant marionnettes, slam et graffitis. Entretien avec Marie-Thé Morin, qui signe cette adaptation trash de l’oeuvre de Rostand.

Le germe du spectacle remonte à 2005, avant que Marie-Thé Morin ne codirige la compagnie Vox Théâtre, qui fête cette année ses 30 ans. Dans la foulée des représentations du spectacle Oz – pièce à succès qui tourne toujours -, le directeur artistique Pier Rodier lui avait lancé l’idée d’adapter pour les préados et les ados l’oeuvre Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand.

Pour construire ce qui allait devenir un spectacle de marionnettes de 65 minutes destiné à un public de 11 ans et plus, Marie-Thé Morin a parcouru l’oeuvre originale entière, qui comporte 350 personnages, pour n’en conserver que 5. "Il y avait une pression pour maintenir la griffe artistique du spectacle Oz, où une multitude de personnages sont joués par deux comédiens. Ici, ce sera trois comédiens, c’est le compromis que j’ai accepté", explique celle qui a cosigné une vingtaine de spectacles, dont Oz et La Miss et la Madame.

En éliminant les références à la bourgeoisie du 17e siècle ainsi que la prose en vers de l’oeuvre originale, l’auteure a conservé l’essence de cette histoire d’amour sur fond de guerre, alors que Roxane cherche un homme à aimer qui soit beau mais aussi éloquent et romantique.

À la guerre franco-prussienne de 1870 se substitue une guerre de clans campée dans une ville non identifiée. "J’ai passé l’oeuvre au microscope et, pour moi, il y a un aspect de l’oeuvre de Rostand qui a été évacué: la guerre. C’est une situation clé dans la pièce. J’ai décidé de situer l’action dans cette zone de conflit sans préciser l’époque ou l’endroit. On se trouve dans une ville aux prises avec des guerres de clans et ces jeunes-là doivent se battre pour défendre leur territoire. S’ils veulent avoir un instant de bonheur, ils doivent le faire tout de suite, sans attendre. Le conflit met en relief l’urgence de dire les vraies choses dans l’instant immédiat", note celle qui manipule la marionnette de Cyrano aux côtés de Pier Rodier (Guiche, Christian) et Sasha Dominique (Roxane et Ragueneau). Ce rôle de grand amoureux qui se cache sous l’apparence de Christian pour séduire Roxane, Marie-Thé Morin n’en voulait pas au départ. "Cyrano est un être d’immenses contradictions et je pense que c’est pour ça qu’historiquement, il a fait peur à bien des gens. Je ne voulais pas le jouer. Je suis une femme. Ce rôle fait peur à des gars, raison de plus pour qu’il me fasse peur à moi! Mais avec la marionnette, ça fonctionne. Au fil des laboratoires, il se passait quelque chose quand je lisais le rôle. Je ne sais pas quoi…"

Le décor délabré orné de graffitis, les marionnettes aux costumes rapiécés et l’environnement sonore contribuent à créer l’univers trash et dépouillé de Cyrano Tag. Faisant usage d’instruments aussi variés que singuliers (piano, xylophone, guitare, cloches à vache, grosse caisse, cordes grinçantes, etc.), le musicien Olivier Fairfield se produit en direct sur scène, parfois accompagné des comédiens. "On forme alors un petit band de rue. On quitte nos marionnettes et on se rend dans le coin musique pour chanter les pièces que j’ai écrites à partir de belles images poétiques de Rostand. Ça va de la musique d’influence tsigane jusqu’au spoken word. À la brechtienne, chaque personnage a son moment, sa chanson qui le définit", détaille l’auteure.