Gaétan Nadeau : Point tournant
Gaétan Nadeau se commet dans un solo intitulé Personal Jesus. Rencontre émouvante avec l’inclassable acteur-danseur.
Quarante-cinq ans. C’est l’âge de Gaétan Nadeau. Pour un artiste, c’est souvent le temps de crise, le point critique, le moment d’une violente remise en question. Certains s’arrêtent là, épuisés par le manque de reconnaissance et l’impression d’avancer dans le néant. D’autres profitent de la crise pour prendre un virage inattendu et donner un nouveau souffle à leur oeuvre. Nadeau appartient probablement à la deuxième catégorie. À quelques jours de la première de son solo, on le sent toutefois encore ambivalent, encore traversé de questions sans réponses.
"Je fais ce métier-là depuis vingt ans; j’ai eu un parcours atypique, jouant très souvent dans le réseau théâtral underground ou pour des metteurs en scène à l’univers très singulier, et participant à des spectacles de danse et de performance. Je me suis créé un parcours d’acteur-créateur, loin d’un théâtre trop réaliste ou psychologique qui ne me ressemble pas, mais aujourd’hui j’ai quand même l’impression de tourner un peu en rond. J’arrête ou je continue? C’est la grande question. Pourquoi est-ce que je m’échine encore à répéter des spectacles dans des salles mal chauffées pour une bouchée de pain? Pourquoi je fais ce que je fais?"
La carrière de Nadeau est en effet marquée par des expériences hors norme, notamment auprès de Nathalie Derome et de la compagnie Mia Maure Danse (d’où sont issus Jacques Brochu et Marie-Stéphane Ledoux, metteurs en scène de son solo). Avec les metteurs en scène Oleg Kisseliov, Jean-Marie Papapietro ou Christian Popescu, il a abordé des dramaturgies étrangères rarement montées chez nous. Il a aussi travaillé avec d’importants créateurs montréalais comme Denis Marleau, Brigitte Haentjens ou Eric Jean, occupant souvent des rôles marquants, mais de second plan. Aujourd’hui, il a un grand désir de parler en son nom, de prendre la plume et le crachoir. "Depuis toujours, je vis dans le regard des autres. Mon travail dépend des désirs des metteurs en scène; j’en ai assez d’être l’instrument de l’autre. J’ai fait le tour du jardin."
Voyage à Rome
Boursier du Québec à Rome, le comédien a pris un temps d’arrêt pour réfléchir, lire et écrire. Ça a donné Personal Jesus, un solo dans lequel il se confronte à de grands mythes et se projette dans l’histoire de Rome, berceau de la civilisation occidentale. Une sorte de carnet de voyage scénique qui, en plus d’être très personnel et de revenir sur des épisodes de son enfance, montre sa soif de grande littérature et intègre des extraits d’oeuvres de Chateaubriand, Pier Paolo Pasolini et Marguerite Yourcenar. Tout ça dans un esprit interdisciplinaire, avec des séquences dansées et des projections d’images de cette Rome qui l’a tant inspiré.
"Le point de départ, c’est Pasolini, explique-t-il. Avant de faire la carrière de cinéaste que l’on connaît, il écrivait des poèmes et des romans. À le lire, j’ai été très étonné de son impudeur, ou plutôt de son ouverture: il parle de ses désirs, ses influences et son enfance de façon très transparente. J’ai voulu que ça se mélange à mon histoire et que ça crée un amalgame cohérent sur scène."