L’Affiche : Le mur des lamentations
Philippe Ducros plonge dans un sujet immense. L’Affiche dépeint des réalités que bien peu de nos créateurs osent aborder.
En créant 2025, l’année du serpent sous la bannière du Théâtre du Grand Jour, Philippe Ducros en avait surpris plus d’un. Un jeune auteur québécois consacrait toute une pièce aux conséquences de la guerre civile. Pas banal. Six ans plus tard, le jeune homme est toujours en rupture nette avec le théâtre de cuisine et l’indécent confort de l’Amérique du Nord.
L’Affiche, sa nouvelle pièce, aborde franchement le conflit israélo-palestinien, un sujet épineux, un îlot de désespoir qu’il parvient à décrire avec un équilibre étonnant de faits et d’émotions. Plus sensible à la cause des occupés qu’à celle des occupants, l’auteur, metteur en scène et directeur artistique des Productions Hôtel-Motel nous entraîne tout de même des deux côtés du mur, cette construction israélienne qui cristallise si puissamment le débat.
À cause de la langue, un brin lyrique, mais aussi du sujet, que bien peu d’auteurs québécois osent même aborder, on pense au théâtre de Wajdi Mouawad. Aussi, parce que le spectacle clarifie les positions, fait apparaître des hommes et des femmes derrière les idées, démontre que le conflit est bien plus financier que religieux, l’entreprise a quelque chose de la démystification, un mandat qui s’apparente à celui du théâtre documentaire. Pour les meilleures raisons, vous l’aurez compris.
En Palestine, quand quelqu’un tombe sous l’occupation, on imprime des affiches de lui pour en tapisser les murs. Un jour, un imprimeur se retrouve à imprimer l’affiche de son fils unique, mort par balle dans son camp de réfugiés. C’est à partir de là que la pièce se met à entrelacer densément les destins des uns et des autres: jeunes gens pleins d’espoir, rabbi, barbier musulman, journaliste québécois, docteurs et militaires; plus de 25 personnages interprétés par neuf comédiens. François Bernier, Sylvie De Morais, Étienne Pilon, Michel Mongeau et Dominique Quesnel sont les plus convaincants. Parmi les autres, certains cherchent encore le bon dosage.
L’espace imaginé par Magalie Amyot sert merveilleusement le spectacle. Un photocopieur, la chaise d’un barbier, des pneus pour le moins évocateurs, des mégaphones hurlants, des pommes et un melon, mais surtout un mur de béton superbement éclairé et de multiples manières par Thomas Godefroid. Avec tout cela, mais aussi avec les projections de Philippe Larocque et la musique de Ludovic Bonnier, Ducros crée des moments forts, des images percutantes, des scènes agressantes et d’autres douces et poétiques. Si vous aimez le théâtre émouvant et instructif, jamais moralisateur, vous savez ce que vous avez à faire.